Après le Sven-Harrys Konstmuseum, le musée d’art suédois de Stockholm, voici Artipelag, contraction d’Art et d’Archipelag (archipel), un nouveau lieu entièrement privé consacré à l’art et à la musique à 30 minutes de la capitale suédoise.
Il s’est ouvert le 3 juin 2012 sur l’île de Värmdö, près de Gustavsberg, dans l’archipel de la capitale suédoise. Son créateur est l’entrepreneur Björn Jakobson, célèbre pour avoir inventé en 1964 le porte-bébé BabyBjörn permettant de promener l’enfant sur la poitrine, début d’une série d’objets pratiques pour le premier âge, conçus, dessinés, fabriqués et vendus dans le monde entier par l’entreprise familiale.
Le septième architecte
On a vite surnommé Artipelag « le Louisiana de Stockholm », en référence au superbe musée situé à 45 km au nord de Copenhague au bord de la mer. En fait, Björn Jakobson s’est plutôt inspiré du Frieder Burda à Baden-Baden, mais il cite aussi la fondation Beyeler de Bâle. Cependant, Artipelag, dont on ne voit qu’une petite partie du toit lorsque l’on approche en bateau, reste unique par son intégration dans la nature. On y accède en bateau, donc, depuis le centre de Stockholm, à Nybroviken devant le Théâtre royal dramatique, Dramaten, en 80 minutes, ou en car en 30 minutes.
« J’ai usé six architectes avant que le septième comprenne ce que je voulais », confie Björn Jakobson, attablé à la terrasse surplombant la mer, au milieu des pins, tandis que des visiteurs viennent discrètement demander à le photographier. Ce septième architecte s’appelle Johan Nyrén, décédé en 2011. « Je ne te ferai pas un Bilbao, je te ferai un bâtiment qui se coulera humblement dans la nature. C’est l’eau, les rochers, les pins qui seront les architectes », lui avait dit Johan Nyrén. Il a effectivement su placer le bâtiment entre deux petites collines en dynamitant un minimum de rochers – l’un d’eux se trouve d’ailleurs à l’intérieur du bâtiment – et en abattant le minimum d’arbres. Même l’allée de lattes de pin qui monte du ponton d’accostage au bâtiment contourne des arbres.
Construit sur trois niveaux sur un terrain de 22 hectares acquis en 2007, le bâtiment possède une superficie totale de 10 220 m². En y pénétrant, l’intérieur paraît plus grand qu’imaginé de l’extérieur. Le niveau inférieur accueille les services. Le niveau intermédiaire comprend le hall d’accueil, une boutique de design et de produits scandinaves, une cafétéria, un buffet, la terrasse extérieure, puis 3 000 m² répartis entre, d’une part, Artboxen (1 200 m², 12 m sous plafond), destiné à des expositions, des opéras, des concerts, des enregistrements d’émissions de télévision, une salle de 1 000 places, 11 loges d’artistes, et, d’autre part, Konsthall (1 000 m²), autre hall d’expositions auquel s’ajoutent 800 m² d’un large couloir de 65 m surplombant la mer ainsi que quatre salles de conférences pouvant accueillir de 10 à 80 personnes selon les besoins. Au troisième niveau est installé le restaurant. Quant au plafond, il est percé de lanterneaux qui ne laissent pas la lumière intérieure s’échapper vers l’extérieur, si bien que, monté sur le toit d’Artipelag, le visiteur peut observer les étoiles sans être gêné par la lumière des salles.
Planches de pin goudronnées, béton et verre constituent les matériaux. Pour parfaire l’intégration dans la nature, le toit est recouvert de sedum. L’escalier qui y mène est agrémenté de petits bancs encastrés à 45° à droite des marches, invitant aux bains de soleil. Un hôtel doit en principe être ajouté au bâtiment.
Pour concevoir, assembler et présenter les quatre expositions prévues chaque année, Björn Jakobson est allé chercher un conservateur qui a fait ses preuves à la tête de plusieurs musées : Bo Nilsson. Né en 1954, il a été conservateur puis directeur du Moderna Museet de Stockholm (1987-1995), conservateur au Louisiana (Danemark) et directeur du Rooseum à Malmö (1995-2000), directeur de Liljevalchs Konsthall, hall d’expositions de la Ville de Stockholm (2000-2006), directeur du Kunsthal Charlottenborg près de Copenhague (2006-2008), et, enfin professeur associé à l’université de Stockholm en charge de la formation des commissaires d’expositions (2008-2012).
Hommage à la Fée Électricité
Après l’exposition d’été « Platsens Själ » (« L’âme du lieu »), réunissant, entre autres, la photographe allemande Candida Höfer, née en 1944, qui exposait pour la première fois en Suède, et la sculptrice Charlotte Gyllenhammar (1963), fille de l’ancien président de Volvo, Bo Nilsson a programmé cet automne « Upplyst » (« Éclairé »), une exposition entièrement consacrée à la lumière. « C’est un hommage à la Fée Électricité », dit Bo Nilsson.
Sont invités des artistes travaillant la lumière : le sculpteur et designer Isamu Noguchi (1904-1988), le plasticien américain Dan Flavin (1933-1996), l’artiste allemand vivant à New York Hans Haacke (né en 1936), Christian Boltanski (né en 1944), l’artiste palestinienne Mona Hatoum (née à Beyrouth en 1952), Felix Gonzales-Torres (1957-1996), Spencer Finch (né en 1962) et Olafur Eliasson. Ce dernier, né à Copenhague en 1967 et vivant à Berlin, a percé de trous un tuyau d’arrosage d’où s’échappe de l’eau qui, éclairée d’une certaine façon, projette un arc-en-ciel visible seulement sous certains angles.
Au milieu des rochers
Le lieu est également voué à la musique. Un opéra de chambre, donné en coopération avec l’Opéra de Stockholm, Le Sommeil de Caroline, musique d’Anders Eliasson, texte de Bengt Emil Johnson, a notamment marqué la semaine de l’inauguration.
Bo Nilsson et Björn Jakobson ont tous les deux également insisté sur l’importance d’une bonne cuisine dans le restaurant situé au niveau 3. Ils ont recruté Fredrik Björlin, chef de l’équipe qui a représenté la Suède à l’Olympiade des cuisiniers à Erfurt.
Interrogé sur la politique qu’il entend mener dans les expositions, Bo Nilsson confie : « Nous essaierons de mêler le classique, le moderne et le contemporain ainsi que le design et l’architecture sans a priori. Nous sommes particulièrement intéressés par les zones frontières entre ces concepts et leurs zones frontières avec l’art. » Bo Nilsson et Björn Jakobson ne se dérobent pas quand arrive la question que tout le monde se pose : comment faire venir les visiteurs en hiver ? Tous deux rassurent d’une même voix : « Nous comptons sur le bouche à oreille. Nous avons eu 40 000 visiteurs cet été, ce sont nos ambassadeurs. Et l’archipel est beau toute l’année…»
Tout jeune il aimait s’occuper des bébés de ses frères et sœurs, une vocation en somme. « Les Africaines portent souvent leur bébé sur le dos parce qu’elles sont libres de leurs mouvements devant pour travailler. J’ai pensé qu’il était plus agréable pour les citadins d’avoir leur bébé sur la poitrine. On peut lui parler, il perçoit les vibrations des cordes vocales, il peut aussi être tourné vers l’extérieur », explique Björn Jakobson. D’où le succès des BabyBjörn dans le monde. Le premier BabyBjörn date de 1964 et son succès a été immédiat en Suède – 8 000 vendus en un mois –, puis dans les pays nordiques et, très vite, dans le monde entier. « La France est un de nos bons marchés, j’y ai vendu 30 millions de BabyBjörn », raconte Björn. Très vite, il a élargi la gamme à des sièges, dont le fameux siège souple, des parcs, des tables. Autre satisfaction pour l’homme d’affaires : avoir créé 100 emplois dans l’archipel où peu d’entreprises sont implantées.
Björn et son épouse Lillemor n’ont pas de collection, mais leur intérêt pour l’art vient du père de Björn qui peignait et de Lillemor qui peint – elle est représentée au Moderna Museet par un dessin. Leurs favoris : Hans Holbein, père et fils, Frans Hals, Marc Chagall, les dessins du peintre suédois Bror Hjorth, Ernst Josephson. « Il y a un dénominateur commun entre l’entrepreneur et l’artiste. S’ils veulent réussir ils doivent travailler dur, être créatifs, avoir une énergie de tous les jours. Pour réussir, il faut combiner les deux et naturellement avoir les compétences de base, innées et acquises », conclut Björn.
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En Suède - Artipelag
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°651 du 1 novembre 2012, avec le titre suivant : En Suède - Artipelag