Art contemporain

Émancipation désenchantée

Couvent Levat - Jusqu’au 13 octobre 2018

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 29 août 2018 - 364 mots

Soit une vingtaine d’artistes, issus du graffiti pour la plupart, mais affranchis de ses codes, invités à investir un ancien couvent en plein cœur de Marseille, en prélude à son réaménagement en jardin public… Avec un tel programme, « Émancipation » obéit à un dispositif devenu courant : muer en espace d’exposition une friche urbaine en voie de transformation.

L’atelier Juxtapoz et Gaël Lefeuvre, respectivement organisateur et commissaire d’expositions, sont d’ailleurs rompus à l’exercice : le premier avait monté « Aux tableaux ! » en 2015 dans une ancienne école marseillaise, le second orchestré la mise en œuvre de la tour Paris 13, avant de signer l’an dernier la très belle exposition « Matière noire » aux puces de Marseille avec Borondo. Sans parler des artistes, dont certains (Lek et Sowat, Legz…) ont forgé leur style sur le versant urbex du graffiti et appris de longue date à frayer dans les interstices de la ville. Au couvent Levat, ce mode d’occupation transitoire donne un résultat surprenant : sombres, désabusées, parfois morbides, les œuvres disséminées entre la chapelle et les jardins distillent un désenchantement à mille lieues des promesses d’émancipation du titre. Si les aphorismes de Sean Hart ou l’échelle céleste de Rodolphe Cintorino évoquent bien une élévation physique, politique et spirituelle, Bom-K, Isaac Cordal, Stéphane Moscato, Remy Uno ou Joaquin Jara soulignent plutôt leur envers et suggèrent au contraire l’impossibilité de tout affranchissement. Chez Axel Void et LEO, qui signent dans la chapelle une proposition magistrale, le nihilisme ambiant se fait même littéral : sur toute la hauteur du mur, une madone sans enfant barrée du mot « rien » illustre le vide de l’homme contemporain, voué de sa naissance à sa mort au « confort de l’esclave ». Bien qu’elle tranche avec la douceur bucolique des jardins, cette tonalité dominante sied bien au contexte spatial du couvent, qui a abrité les sœurs Victimes du sacré cœur de Jésus pendant cent cinquante ans, avant que le lieu ne soit désacralisé et qu’elles n’aillent se mettre au vert en Vendée. Dans nombre d’œuvres exposées se projette sans doute leur ombre intransigeante, au risque, d’ailleurs, de faire paraître un peu tièdes les charges des artistes contre la société en regard de leur refus radical du monde…

« Émancipation »,
Le Couvent, 52, rue Levat, Marseille (13), atelier-juxtapoz.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°715 du 1 septembre 2018, avec le titre suivant : Émancipation désenchantée

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