BRUXELLES / BELGIQUE
À Bruxelles, une vaste exposition rassemble les œuvres du couple au Palais des beaux-arts.
Bruxelles (Belgique). L’histoire de l’art est émaillée de couples d’artistes connus tels Frida Kahlo et Diego Rivera, Robert et Sonia Delaunay ou encore Marina Abramovic et Ulay. Mais aucun sans doute n’a connu une harmonie artistique aussi intense que Sophie Taeuber et Hans / Jean Arp. Entre dada et surréalisme, abstraction et figuration, entre créations textile, peinture, dessin et sculpture, ils ont mêlé leurs œuvres individuelles et communes au cœur des avant-gardes du début du XXe siècle. Hans / Jean Arp, qui a survécu plus de vingt ans à son épouse et qui a continué à créer, a longtemps été plus connu que Sophie Taeuber, mais la redécouverte des artistes féminines aujourd’hui, longtemps cloîtrées dans l’ombre, les ramène à la lumière.
Hans / Jean Arp rencontre Sophie Taeuber en novembre 1915 à la galerie Tanner de Zurich dans le bouillonnement qui a donné naissance au mouvement dada. Alors qu’il y expose des tapisseries, des broderies et des œuvres sur papier, il tombe sous le charme de la jeune femme qui mène une carrière d’artiste indépendante avec des créations textiles et du travail sur bois.
C’est la rencontre de deux personnalités qui se rejoignent dans les jeux infinis de l’abstraction. Lui, autodidacte, est plus instinctif et privilégie des formes souples tandis qu’elle, plus discrète et cérébrale, agence des formes géométriques distribuées en rectangles et carrés. Arp et Taeuber réalisent leurs premières œuvres, s’influencent mutuellement, s’échangeant des formes traduites en peinture, broderie et en papiers collés.
L’exposition suit chronologiquement leurs carrières sur un peu moins de trente ans de vie commune. Le parcours commence par les premières œuvres textiles de Hans / Jean Arp, aujourd’hui peu connues, et les créations de textiles de Sophie Taeuber qui, à Zurich, dans les années 1917-1918, connaissent un certain succès. Si la forme des objets est assez classique, elles se démarquent par leur usage radical et innovant de la couleur. Les premières pièces maîtresses sont les marionnettes en bois tourné que Sophie Taeuber a créées pour une adaptation Dada d’une pièce de Carlo Gozzi, Le Roi-Cerf.
Elle concevra également avec la même technique la tête de Jean Arp. Les années 1920 marquent l’inspiration croisée et miroir de leurs deux œuvres avec, pour lui, les formes biomorphiques abstraites et le « langage objet » où l’on reconnaît des formes de moustache, nombril, têtes champignons, œufs ou bouteilles, et pour elle, les abstractions géométriques avec toujours la primauté de la couleur. Vient aussi l’ambitieux projet de l’Aubette, un complexe de loisirs avec bar, salon de thé, restaurant et dancing à Strasbourg pour lequel ils réaliseront (avec Theo van Doesburg) la décoration intérieure. Puis les « années Clamart », où le couple vit pour la première fois ensemble, et travaille côte à côte, dans une maison dessinée par Sophie Taeuber-Arp.
Profondément marqué par la mort accidentelle de son épouse en 1943, Arp va chercher à perpétuer sa mémoire par la publication d’un catalogue raisonné et par des œuvres posthumes où il prolonge des créations de la disparue, comme les poupées en papier découpé et les sculptures inspirées par des figures apparaissant sur des tapisseries de Taeuber-Arp des années 1920.
Le plus fascinant dans le travail du duo, c’est qu’il est aujourd’hui impossible de distinguer qui a fait quoi dans leurs œuvres à quatre mains. Dans leur approche artistique, ils passent ainsi avec une grande liberté et une simplicité de la peinture à la sculpture, au textile, au design de bijoux et d’objets, réutilisant parfois un même motif dans des contextes différents. Certains découvriront ainsi la diversité de la production de Arp, souvent uniquement connu pour ses sculptures. Il n’existe chez eux aucune hiérarchie entre les différents matériaux et techniques. Seuls les gestes et les formes comptent, pas le support.
Cette exposition, la plus grande rétrospective consacrée au couple Arp et Taeuber-Arp depuis trente-cinq ans, rassemble 250 pièces provenant de 75 musées internationaux, fondations et collections privées. Pour la voir après Bozar, il faudra aller jusqu’à Høvikodden (près d’Oslo) en Norvège où elle sera visible au Henie Onstad Kunstsenter, en 2025.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°642 du 1 novembre 2024, avec le titre suivant : Arp et Taeuber-Arp, réunis en Belgique