Royaume-Uni - Collectionneurs - Photographie

PHOTOGRAPHIE

Elton John collectionne les succès et la photo

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2024 - 898 mots

Le Victoria & Albert Museum expose 300 tirages de qualité issus de la collection du chanteur.

Vue de l'exposition Fragile Beauty au Victoria & Albert Museum. © Victoria and Albert Museum, London
Vue de l'exposition « Fragile Beauty » au Victoria & Albert Museum.
© Victoria and Albert Museum, London

Londres. Si Elton John est connu comme auteur-compositeur-interprète, il l’est beaucoup moins en tant que collectionneur de photographies. Avec David Furnish, son époux, Elton John a constitué l’une des plus grandes collections privées de photographies au monde. Ils en possèdent plus de 7 000, qui vont du début du XXe siècle jusqu’à nos jours, et ne s’interdisent pas d’en céder quelques-unes pour en racheter d’autres. La dernière vente s’est organisée les 22-23 février dernier chez Christie’s, à la suite de la vente de l’appartement du chanteur sur Peachtree Road à Atlanta. La collection de l’artiste britannique de 77 ans, anobli par la reine Élisabeth, a déjà été exposée notamment à la Tate Modern, en 2016. Les quelque 150 tirages d’époque, des années 1920 à 1950 de 70 photographes comprenaient des images célèbres de Man Ray, André Kertész, Brassaï, Dorothea Lange, Tina Modetti, Edward Weston, Alexandre Rodtchenko…, et d’autres moins connues. Le Victoria & Albert Museum (V&A) poursuit avec une exposition de plus grande ampleur (plus de 300 tirages) et une sélection d’œuvres tout aussi emblématiques datant des années 1950 à nos jours que l’on découvre, captivée. Les huit sections thématiques reflètent un œil, une curiosité constante et l’intérêt porté autant à la mode, aux portraits de grands musiciens, artistes et acteurs qu’à la beauté masculine, au reportage ou à l’abstraction en photographie. Pas une image ou série qui ne frappe par sa teneur, sa modernité, sa créativité et par ce qu’elle raconte d’une époque et de son auteur.

« Rien ne dit plus la vérité qu’une photographie »
David LaChapelle, Elton John : Egg On His Face, New York, 1999. © David LaChapelle
David LaChapelle, Elton John : Egg On His Face, New York, 1999.
© David LaChapelle

« J’aime les peintres, j’aime les œuvres d’art, je collectionne les tableaux, mais pour moi, rien ne dit plus la vérité qu’une photographie – et David Hockney me tuerait pour avoir dit cela, mais je suis désolé, j’ai raison », confie Elton John dans le film d’entretien réalisé par le V&A, consultable sur le site du musée. Et David Furnish de préciser : « Quand Elton et moi nous sommes rencontrés, la première nuit ici à Windsor [ndlr : propriété du couple près de Londres], l’une des choses que nous avons immédiatement trouvées en commun était notre amour de la photographie. J’avais les livres de photographies et Elton avait en fait certaines de ces photographies. »

Dans l’exposition découpée par thème, les textes de salle et les cartels des œuvres sont généreux en explications sur les raisons de leur choix de telle ou telle photographie. Le long entretien du couple dans le catalogue est particulièrement instructif sur le contexte des débuts de la collection commencée en 1991, lorsqu’Elton John est « devenu sobre » comme il raconte coutumièrement. « Je suis allé chez un ami – Alain Dominique Perrin, qui dirigeait Cartier à l’époque – et sa femme Marie-Thérèse avait organisé une merveilleuse exposition photographique à Cahors, dans laquelle les photographies étaient éclairées sur des bâtiments. Alain avait un marchand de Los Angeles, David Fahey, qui est venu avec des tirages de Herb Ritts, Horst P. Horst et Irving Penn ; il s’agissait essentiellement de photographies de mode, en noir et blanc. Je les ai regardées et j’en ai acheté une dizaine. Je n’avais jamais remarqué la photographie de ma vie, et c’était le moment. » Depuis aucun achat de Man Ray à Richard Adevon, Robert Frank, Nan Goldin, Thomas Struth ou Tyler Mitchell, pour lequel il n’ait pris soin de l’exceptionnel qualité du tirage, quitte à attendre des années avant de l’acquérir comme pour la photographie de Diane Arbus et du garçon à la grenade.

Les temps forts ne manquent pas dans l’exposition du V&A que signent Duncan Forbes (directeur de la section Photographie du musée), Newell Harbin (directrice de la collection de photographies du couple depuis 2012) et Lydia Caston (curatrice des projets d’exposition au V& A). Particulièrement émouvante est la section « Fragile Beauty »avec les 149 tirages couleurs de la série « Thanksgiving » de Nan Goldin, récit de sa vie des années 1973 à 1999, mises en dialogue avec des images de ces décennies avec Mappelthorpe, Larry Clark, Jerry Berndt, Peter Hujar, Philip-Lorca diCorcia et avec une série moins connue de William Klein sur Act Up. L’activisme, l’épidémie de VIH/sida et la libération gay de cette époque se racontent, la vie d’Elton John de ces années, en creux aussi. La vulnérabilité humaine domine dans bien des parties de l’exposition. Elle prend ailleurs d’autres traits, ceux de Chet Baker à différentes périodes de sa vie ou de Marylin Monroe par exemple. Les luttes s’expriment également comme celles pour les droits civiques aux États-Unis, autre thème important de la collection. La section « Reportage »révèle de son côté la passion pour le photojournalisme d’Elton John, née de la photographie de Richard Drew d’un homme tombant du World Trade Center. « J’ai commencé à parcourir les journaux à la recherche de photographies d’événements importants, ce qui s’est intensifié ces dernières années avec Trump et l’Ukraine », souligne-t-il dans le catalogue. Si la photographie sur les États-Unis et les photographes américains tiennent une place importante dans la collection, les dernières sections, dont celles consacrées aux dernières acquisitions, montrent l’intérêt porté à d’autres voix comme celles des Sud-Africains Robin Rhode et Zanele Muholi, du Finlandais Niko Luoma ou du Chinois Zhang Huan. De photographes français, on en relève peu, excepté pour la mode avec Guy Bourdin, Frank Horvat et William Klein ou dans la section « Desire », Pierre et Gilles.

Vue de l'exposition Fragile Beauty au Victoria & Albert Museum. © Victoria and Albert Museum, London
Vue de l'exposition « Fragile Beauty » au Victoria & Albert Museum.
© Victoria and Albert Museum, London
« Fragile Beauty: Photographs from the Sir Elton John and David Furnish Collection »,
jusqu’au 5 janvier 2025, V & A South Kensington.
Dès 1 euro, abonnez-vous au site LeJournaldesArts.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°636 du 21 juin 2024, avec le titre suivant : Elton John collectionne les succès et la photo

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque