Art moderne - Art contemporain

Dubuffet regroupé

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2014 - 740 mots

Le Fonds culturel Leclerc réunit les collections du Musée des arts décoratifs et de la Fondation Dubuffet.

Avant 40 ans, on ne pense qu’à baiser », répondait Jean Dubuffet à Jean-François Jaeger, le directeur de la galerie Jeanne-Bucher, qui l’interrogeait sur les raisons de son entrée tardive en peinture. Si la vocation artistique de Dubuffet fut précoce – il s’inscrit à 16 ans à l’École des beaux-arts du Havre – ce n’est qu’en 1942, à l’âge de 41 ans, que son œuvre démarre véritablement après avoir passé par-dessus bord conventions en vigueur et modèles préexistants.

Le Double autoportrait au chapeau melon daté de 1936, qui salue le visiteur de l’exposition à son arrivée, sert d’entrée en matière. C’est un autoportrait de l’artiste – Dubuffet vu par Dubuffet – que propose le Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la culture. À Landerneau (Finistère) sont réunies en effet pour la première fois les deux collections constituées par l’auteur d’Asphyxiante culture (1968). La donation faite en 1967 au Musée des arts décoratifs, à Paris, et les créations de la Fondation que Dubuffet a créée en 1973 dans la capitale. L’ensemble abrité rue du Louvre réunit des œuvres de la période allant de 1942 à 1966, des tableaux et sculptures des années 1950 et du début du cycle de « L’Hourloupe » (1962-1974) ainsi qu’un bel ensemble d’œuvres sur papier des années 1940 à 1960. Les collections de la Fondation Dubuffet complètent ce corpus avec des œuvres des années 1920 et 1930 auxquelles viennent se joindre la suite du cycle de « L’Hourloupe », « Coucou bazar » et les dix dernières années de sa production qui s’achève en 1984.

« En montrant les œuvres de ces deux collections, c’est non seulement le parcours de Jean Dubuffet que découvre le public, mais aussi le regard de l’artiste sur son propre travail qui est ici mis en perspective », insiste Sophie Webel, la directrice de la Fondation Dubuffet.

Un défricheur
L’exposition, organisée chronologiquement en quatre grandes sections, se compose de plus de 210 œuvres : 64 peintures, 42 sculptures et maquettes d’architecture et une centaine d’œuvres sur papier.
C’est à la Fondation Dubuffet que l’on doit les œuvres dites de la préhistoire de l’artiste (1918-1936) qui ouvrent le parcours. La sage Assemblée de dames en forêt de 1922 trahit l’influence de Raoul Dufy, tandis que l’étrange Leçon de botanique de 1924 témoigne de l’assimilation de l’œuvre de Masson.

En 1943, Dubuffet réalise une série de gouaches sur le thème du métro qui sera suivie par une avalanche de différents styles. L’homme adore défricher, inventer de nouvelles formules et « mettre en œuvre des moyens qui ne soient pas empruntés au répertoire classique ». Gravier, goudron plâtre, ciment : il expérimente de nouveaux matériaux qu’il entaille sans scrupule, inaugurant la série des hautes pâtes. En témoigne la salle baptisée « Célébrations de la matière » dédiée aux pâtes battues du début des années 1950, faites de couches épaisses griffées du bout du couteau faisant surgir de mystérieux graffitis.

Le parcours se poursuit avec ses « Paysages grotesques » inspirés du Sahara. Place ensuite aux « Corps de dames », à ses étranges figures féminines comme aplaties sous le verre d’un microscope (1950-1951), puis aux vaches auvergnates qui deviennent les premiers protagonistes de ses tableaux. En 1959, il entreprend la série de collages d’éléments végétaux qui sera suivie en 1962, brusque rupture, par la série « Paris Circus », un tonitruant défilé de piétons, de voitures et d’enfilades de vitrines de magasins. « Il y a dans toutes mes peintures deux vents contraires qui soufflent, l’un me portant à outrer les marques de l’intervention […] et l’autre, à l’opposé, qui porte à éliminer toute présence humaine […] et boire à la source de l’absence, » expliquait l’artiste.

Avec la période de « L’Hourloupe » (section 3) amorcée au début des années 1960, la figure humaine disparaît à nouveau au profit de configurations multiformes striées de rouge et de bleu sur fond noir. L’avant-dernière salle de ce parcours breton, un peu trop sage et insuffisamment didactique, est consacrée aux découpes peintes de « Coucou bazar ». Suivent les « Théâtres de mémoire », « Psycho-sites » et autres « Mires » qui marquent les dix dernières années de création de cet homme pressé qui voulait « brouiller les catégories habituelles, les disloquer, et par ce moyen restituer à la vision et à l’esprit leur ingénuité, leur fraîcheur ».

DUBUFFET, L’INSOUMIS

Jusqu’au 2 novembre, Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la culture, Aux Capucins, 29800 Landerneau, tél. 02 29 62 47 78, www.fonds-culturel-leclerc.fr, tlj juillet-août 10h-18h, sept.-oct.-nov 10h-19h. Catalogue, 192 p., 29 €.

Légende photo
Jean Dubuffet, Autoportrait II, 1966, marker sur papier, collection Fondation Dubuffet, Paris. © Photo : Fonds Hélène&Édouard Leclerc pour la Culture, 2014.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°417 du 4 juillet 2014, avec le titre suivant : Dubuffet regroupé

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