Avec Josef Sudek, Jaromir Funke et Frantisek Drtikol, la Tchécoslovaquie a révélé au cours de la première moitié du siècle trois photographes d’envergure internationale. Le dernier est le plus mystérieux, certainement parce qu’il a brusquement abandonné la photographie en 1935, alors qu’il était âgé de cinquante-deux ans, pour se lancer dans une recherche personnelle toujours plus ésotérique et mystique. L’exposition est la première à présenter l’ensemble de ses tableaux.
LONDRES (de notre correspondant) - Alors qu’il est étudiant à l’Institut d’apprentissage et de recherche de la photographie de Munich (1901-1903) – où il s’impose comme le meilleur élève –, Frantisek Drtikol (1883-1961) se passionne pour le Jugendstil (Art nouveau) et ses effets décoratifs recherchés. Mais il l’épure et l’élargit pour façonner son propre style, combinant des éléments du pictorialisme et du modernisme. Sa carrière prend un tournant majeur en 1910, quand il s’installe à Prague et ouvre un studio. Il réalise des portraits de gens aisés ou célèbres, comme Leos Janàcek, Rabindranath Tagore et Paul Valéry. Mais Drtikol est surtout connu pour ses études de nus féminins, images réalisées avec un éclairage de studio cru et théâtral, dans des décors d’échafaudages en carton et en contre-plaqué qu’il fabrique lui-même. Les nus de Drtikol sont édités à Paris en 1929, époque où pourtant il commence à se désintéresser de la photographie et à se passionner pour les religions orientales.
Les commissaires de l’exposition, Anna Fávorá et Stanislav Dolezal, proposent une vision globale de l’œuvre de Frantisek Drtikol, fondée sur les travaux que lui a inspirés sa quête mystique, et réalisés pour la plupart à partir de supports non photographiques. Stanislav Dolezal remarque d’ailleurs dans le catalogue “... Cette exposition est la première à présenter l’ensemble des tableaux de Drtikol (...) La photographie n’est qu’un outil parmi d’autres qu’il utilise pour exprimer sa dévotion à l’art. Sa peinture, et l’activité spirituelle qui la motive, est tout aussi importante.” Les 221 œuvres présentées, dont un tiers seulement sont des photographies, sont divisées en huit sections thématiques. Leurs titres (“Vanitas”, “Invocation”, “Méditation”) reflètent l’approche très éclectique que Drtikol avait du mysticisme, influencé aussi bien par le christianisme que par Maître Eckhart, Nietzsche, le hassidisme, la théosophie, Rudolph Steiner, les Upanishads et le Livre des morts tibétain… Son engagement remonterait au moins à la première décennie du siècle, comme en témoigne un autoportrait en Christ crucifié assez dérangeant, daté de 1913. Les photographies exposées comprennent des nus féminins, avec des titres comme Salomé ou Earth Mother, ainsi que de nombreux autoportraits de l’artiste nu, la série se terminant sur un autoportrait daté de 1937. Les premiers travaux réalisés sur d’autres supports, dessins et gravures à l’eau-forte, exécutés pour la plupart entre 1901 et 1918, sont habiles et conventionnels. Mais dans ceux exécutés à partir de 1930, “Drtikol ne cherchait plus à créer un effet artistique. Il voulait plutôt capturer une vision et un état spirituels, sans tenir compte du style. Il est devenu un solitaire inclassable...”, constate Anna Fávorá. Dans le texte d’un autre catalogue, Petr Nedoma affirme que l’artiste “n’avait aucunement l’intention de rendre son œuvre publique (…). Il peignait avant tout pour tenir le compte de ses visions personnelles.” Du reste, il est mort totalement oublié en 1961.
FRANTISEK DRTIKOL : PHOTOGRAPHE, PEINTRE ET MYSTIQUE, jusqu’au 31 mai, Galerie Rudolfinum, Alsovo Nabrezi 12, Prague, tél. 420 2 24 89 32 05, tlj sauf lundi 10h-18h.
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Drtikol, le mystique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°58 du 10 avril 1998, avec le titre suivant : Drtikol, le mystique