Dans la langue de l’alpinisme, on désigne sous le nom de « cairn » ces petites pyramides de pierres élevées le long des chemins qui servent de points de repère. À Digne-les-Bains, le promeneur qui s’engage dans la réserve géologique de Haute-Provence ne peut manquer de s’interroger sur ces trois immenses cairns qui marquent l’entrée des vallées du Bès au nord, du Vançon au nord-ouest et de l’Asse au sud-est. Très vite, il apprend que ce sont des œuvres d’art et que leur auteur n’est autre qu’Andy Goldsworthy. Nommées par lui de « sentinelles », elles sont les gardiennes du territoire ; simplement dressées là comme de monumentales toupies, faites de pierres blanches soigneusement empilées, elles sont signe d’une présence d’art. À sa grande surprise, le promeneur découvre en effet que, s’il est sur une géographie naturelle réservée, il se trouve aussi sur un site artistique ponctué ici et là de tout un lot de commandes publiques et riche de différents lieux d’expositions.
Si rien ne destinait ce chef-lieu du département des Alpes-de-Haute-Provence à tutoyer l’art contemporain, c’est qu’il en est de ce genre de situation de la simple volonté des hommes. Dans le cas présent, de celle d’une femme – Nadine Gomez-Passamar, conservatrice du musée départemental – et d’un homme – Guy Martini, fondateur en 1984 de la réserve en question – qui décidèrent en 1995 d’unir leur action. S’ils avaient tous deux à y gagner, elle à inviter des artistes à venir travailler in situ, lui à mêler deux sortes de patrimoine, ils agissaient surtout avec la conviction qu’il y avait là un site naturel qui méritait absolument d’être mieux connu.
L’idée a donc très vite germé dans leur esprit de valoriser le site à travers la création artistique contemporaine. En l’espace de dix ans une petite galerie – dite du Cairn – destinée à la présentation d’expositions temporaires a été construite, un musée-promenade – nommé Saint-Benoît – consacré à la richesse géologique du pays a été établi, un programme de résidences d’artistes et d’expositions a été développé et des commandes publiques installées ici et là... Bref, tout un dispositif qui fait de Digne et de ses alentours un lieu de passage incontournable. D’autant qu’en ville, on y trouve encore de quoi satisfaire l’œil et l’esprit : d’une part avec le musée Gassendi – l’homme de sciences qui fut évêque de Digne est né dans un village voisin –, de l’autre avec la cathédrale romane Notre-Dame-du-Bourg dont David Rabinowitch a refait les vitraux et le mobilier liturgique : un exemple de rigueur et de construction que porte une géométrie subtile et sensible. C’est dire si, à Digne, le sacré et le profane y trouvent leurs comptes !
En ville donc, le musée Gassendi offre à voir un étonnant mélange entre patrimoine et art contemporain : une salle d’art ancien, une salle XIXe avec un immense mur d’argile – La Rivière de terre – de Goldsworthy et dans l’environnement du cabinet reconstitué de Gassendi les photos de cairn de l’Anglais, un cabinet botanique d’Herman de Vries, des figures de « sirènes » paléontologiques façon Fontcuberta, un globe terrestre en suspens de Tom Shannon, etc. À l’orée de la réserve géologique, la galerie du Cairn, judicieusement lovée sur les flancs de la montagne, est un petit chef-d’œuvre de construction minimale toute recouverte de bois. Lieu permanent d’exposition, elle accueille cet été les travaux de Mark Dion et de Stéphane Bérard et sert de point de départ au musée-
promenade. Une vingtaine de minutes de marche dans un paysage de rêve où l’on croise entre autres un éboulement de Jean-Luc Parant, des flûtes au vent d’Erik Samakh, un triangle de Curt Asker, et voilà le promeneur parvenu au musée lui-même. Installé dans une ancienne villa tout entière réaménagée surplombant la vallée, celui-ci présente un parcours pédagogique et toutes sortes de créations naturelles dignes d’un cabinet de curiosités, comme celles de la salle de paléontologie dont la magnifique scénographie est signée Georges Autard.
Enfin, dispersées aux quatre coins de la réserve géologique, à l’instar des Sentinelles de Goldsworthy, le promeneur-randonneur découvrira ici et là d’autres interventions d’artistes. Au bord de la route, il apercevra l’un des fossiles monumentaux de Fontcuberta. Sur la crête de roche Rousse, après une bonne heure de marche, il s’arrêtera devant le sanctuaire d’Herman de Vries. Enfin, poursuivant son chemin, il ira se reposer dans l’un de ces vieux abris de pierres sèches que Goldsworthy a décidé de réhabiliter en les transformant en « refuges de l’art ».
DIGNE-LES-BAINS (04), musée Gassendi, 64 bd Gassendi, tél. 04 92 31 45 29 ; galerie du Cairn et musée-promenade Saint-Benoît, tél. 04 92 36 70 70.
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Digne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°549 du 1 juillet 2003, avec le titre suivant : Digne