Paroles d’artiste

Didier Faustino

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 18 avril 2003 - 643 mots

Artiste ou architecte, Didier Faustino joue l’�?entre-deux�?, révèle les interstices et nous le prouve dans son exposition personnelle à la galerie Gabrielle Maubrie, à Paris. Nous l’avons rencontré à cette occasion.

Que cache “Interstices”, le titre de votre exposition ?
Je présente des pièces qui parlent de l’“entre-deux”, de l’espace entre deux corps, entre deux personnes... C’est tout un pan de mon travail sur l’incapacité à communiquer ou en tout cas l’illusion de communication entre les gens. On rejoint là une agaçante idée contemporaine, celle que l’on est toujours l’élément d’un groupe. Ce qui m’intéresse, ce sont plutôt les individualités, donc les corps en tant qu’unité autonome et non pas partie fragmentaire d’un groupe.

Comment cet “interstice” se matérialise-t-il dans l’exposition ?
La pièce principale est composée de deux Hygiaphones qui se font face. Une sorte de matérialisation de l’“entre-deux-corps”. Les gens ne se voient pas à travers ces Hygiaphones. En revanche, ceux qui regardent de l’extérieur voient deux personnes en train de discuter. C’est presque comme une communication interrompue ou une proximité amplifiée… Pour la vidéo Interstices, tout est parti de l’exposition “Traversées”, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2001. J’y avais installé un matelas aquatique de 50 m2 qui gardait la trace de tous les mouvements. De l’extérieur, on se trouvait en situation de voyeur : on ne regardait pas tant les gens que les traces au sol. Je présente quelques instants captés par les caméras de vidéosurveillance pendant l’exposition : deux petites filles jouent à se croiser sans jamais se toucher. L’interstice est matérialisé par cette sorte d’onde générée au sol, ces traces qui s’amplifient et qui se brouillent à un moment donné.
Je présente aussi un film intitulé Ausência (“l’absence de l’autre” en portugais). Ce sont des jambes en suspension, une danse obscure ; on ne comprend pas vraiment ce qu’il se passe. Cette vidéo en noir et blanc assez hypnotique est aussi un modeste hommage à Michael Snow, qui a été mon premier choc cinématographique en première année d’architecture.
À l’entrée de l’exposition est présentée une pièce qui a été censurée. L’Institut français d’architecture (IFA), à Paris, avait demandé à des architectes de produire une “Maison du bonheur” pour une vente caritative au profit d’Architectes sans frontières. Il s’agit d’une toute petite maison à la griffe du N° 5 de Chanel, soit le paroxysme du luxe. Un simple parfum qui fait partie des premiers produits à évoquer le luxe, un clin d’œil historique dénué d’animosité. L’IFA a demandé à Chanel s’il était possible d’utiliser le nom de “N° 5”. Nous n’y avons évidemment pas été autorisés. Ce qui est drôle, c’est qu’en utilisant juste ce symbole du vent mercantile – même si c’est un jus extrêmement raffiné –, on se dit que l’innocence peut facilement toucher.

Vous êtes vous-même dans un interstice : entre artiste et architecte.
Je suis dans une production architecturale un peu difficile à cerner. Les architectes vont facilement me cataloguer “artiste”. Une pièce comme Hygiaphone passerait pour du design, de l’art ou de la sculpture, mais jamais pour de l’architecture. Or il peut y avoir une architecture de l’infinitésimal, du presque rien, juste de l’ordre du regard, du désir...
J’ai d’ailleurs monté avec Pascal Mazoyer une agence, le “Bureau des Mésarchitectures” : le bureau des mauvaises architectures, des mauvais architectes ou le bureau des mésaventures architecturales, dans le sens positif de la chose, car je trouve que le ratage est nécessaire dans un travail. C’est une façon d’affirmer le tâtonnement.

Que différencie un artiste d’un architecte ?
On pourrait dire que les artistes questionnent notre société et que les architectes apportent des réponses, mais je pense que les architectes n’en apportent plus. En revanche, les artistes échafaudent bien souvent des embryons de réponses...

INTERSTICES

Galerie Gabrielle Maubrie, 24, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, 75004 Paris, tél. 01 42 78 03 97, jusqu’au 17 juin.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°169 du 18 avril 2003, avec le titre suivant : Didier Faustino

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