PARIS
On leur doit les premières pyramides monumentales et les premières formes d’écriture, mais aussi des sculptures au naturalisme saisissant. Le Quai-Branly explore l’univers mystérieux des Olmèques dont le rayonnement perdurera jusqu’à la conquête espagnole, en 1519.
Paris. Lèvres épaisses, nez épaté et léger strabisme. C’est probablement le portrait d’un chef que représente cette tête colossale (1,47 mètre de hauteur) recouverte d’un casque enfoncé jusqu’aux yeux. Cette sculpture taillée dans le basalte a été exhumée en 1862 dans le massif de Tuxtlas, dans l’État de Veracruz au Mexique. « Ce fut le premier acte de la découverte d’une culture qui fut qualifiée plus tard d’“olmèque” », souligne Dominique Michelet, archéologue et directeur de recherche au CNRS. On recense, à ce jour, dix-sept têtes colossales comme celle dite de « Tres Zapotes », du nom du lieu où elle a été trouvée. Ces sculptures, pesant chacune entre 6 et 30 tonnes, ont toutes été trouvées dans des plaines alluviales éloignées des gisements de pierres. La matière première a donc dû être acheminée, avec l’aide de nombreux bras, depuis les volcans situés à une centaine de kilomètres des sites à travers des campagnes parsemées de ruisseaux, rivières et marécages.
Parce que ces pièces figurent fréquemment des personnages hybrides, des hommes aux traits de félins – des jaguars en l’occurrence, qui occupent une place centrale dans l’iconographie olmèque –, des auteurs ont avancé le nom de « Tenocelone » (du Nahuatl « ceux qui ont une tête de jaguar ») pour désigner la population de la région. « Le terme est vite tombé en désuétude quand des chercheurs comme Hermann Beyer et Marshall Saville ont repris le mot “nahuatl olmeca” employé par les Mexicas, trois millénaires après l’épanouissement de cette civilisation, pour parler des différents peuples de “la région où il y a du caoutchouc”, explique l’archéologue Sergio Vasquez Zárate (Université de Veracruz).
Après « Teotihuacan » (2009), « Mayas, révélation d’un temps sans fin » (2014), et « Le Pérou avant les Incas » (2017), le Musée du quai Branly-Jacques Chirac poursuit son cycle de grandes expositions d’archéologie. « Les Olmèques et les cultures du golfe du Mexique » invite à découvrir les richesses culturelles d’une civilisation (1600-400 av. J.-C.) qui couvrait alors la partie sud du Mexique et le bord ouest de l’Amérique centrale. L’exposition rassemble plus de 300 pièces, prêtées par des institutions mexicaines dont l’Institut national d’anthropologie et d’histoire de Mexico. Près des trois quarts d’entre elles n’ont jamais été montrées en Europe, précise Emmanuel Kasarhérou, le président du Musée du quai Branly-Jacques Chirac.
La culture olmèque serait-elle « la mère des autres cultures » méso-américaines, comme le soutenait, en 1942, Alfonso Caso, l’un des fondateurs de l’archéologie mexicaine ? De nombreux spécialistes le contestent, préférant évoquer l’existence de plusieurs « cultures sœurs » qui auraient été à l’origine de développements postérieurs de la Méso-Amérique, argue Dominique Michelet.
Têtes taillées dans le basalte, pièces en pierre, en bois ou en céramique, monumentales ou de petite taille, les sculptures olmèques figurent parmi les plus belles de Méso-Amérique. À l’image de ces deux jeunes hommes massifs, deux jumeaux, assis sur leurs talons face à deux jaguars, animal associé à l’autorité politique, comme l’atteste le bâton de commandement qu’ils tiennent, chacun, entre leurs mains. « Cet appariement avec le prédateur le plus puissant du monde méso-américain indique que l’image du félin était déjà utilisée comme symbole de prestige », indique Kim Richter du Getty Research Institute de Los Angeles. Cet ensemble composé de deux figures humaines et deux félins a été découvert lors de fouilles effectuées dans les années 1990 dans l’acropole d’El Azuzul, un site situé près de San Lorenzo.
Autre pièce majeure, le « Seigneur de Las Limas », une extraordinaire ronde-bosse (900-400 av. J.-C.) en serpentine figurant un prêtre assis en tailleur tenant entre ses bras un bébé mi-homme mi-jaguar. Quatre têtes de profil ont été gravées sur les épaules et les genoux du personnage. L’archéologue, anthropologue et épigraphiste Michael D. Coe « a tenté de voir en elles des images de différentes divinités (du renouveau végétal, du feu, de la mort) et, à sa suite, on a pu considérer que la statue était une sorte de compendium du Panthéon olmèque », peut-on lire dans le catalogue de l’exposition. Tout aussi étonnant est ce groupe théâtral, représentant seize personnages au crâne allongé et à la bouche féline (seize figurines) et six haches, découvert en 1995 lors d’une campagne de fouille menée sur le site de la Venta (1200-400 av. J.-C.). Deux d’entre eux sont en jade, cette pierre verte semi-précieuse symboliquement associée à l’eau et à la vie, et assimilée au maïs dont on a retrouvé sur ce site des variétés domestiquées 5 000 ans avant J.-C.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°556 du 27 novembre 2020, avec le titre suivant : Des hommes et des jaguars