Art contemporain

XXE SIÈCLE

Des créateurs à l’écoute du monde

Par Stéphane Renault · Le Journal des Arts

Le 20 juin 2018 - 878 mots

La Fondation Vuitton présente une nouvelle sélection d’œuvres de sa collection réunies autour du thème de l’homme dans l’univers et la perception du monde par les artistes.

Paris. Expression du goût de son auteur, une collection se révèle aussi le reflet de son temps. Sa présentation, un défi chaque fois renouvelé : faire dialoguer entre elles des œuvres distinctes, des médiums variés ; rassembler dans un même espace des formes d’expression singulières.

C’est ce que propose la Fondation Vuitton, qui dévoile dans l’ensemble des galeries du navire de Frank Gehry aux voiles déployées dans le Bois de Boulogne un corpus jamais montré d’une trentaine d’artistes de sa collection. L’exercice n’est pas une première. En 2014, le bâtiment a été inauguré avec un premier accrochage d’œuvres emblématiques. Depuis, la Fondation a présenté ­différents choix autour de lignes directrices : contemplative, expressionniste, « popiste », musique/son ou dans le cadre d’expositions consacrées à la Chine (2016) et à l’Afrique l’an passé. « La thématique résonne avec les questionnements du monde aujourd’hui, explique Suzanne Pagé, sa directrice artistique. C’est l’idée de l’homme dans l’univers, et comment les artistes répercutent ce qui se passe dans le monde. » Des créateurs « au diapason du monde », donc. « Diapason, c’est aussi la dimension musicale. Je pense qu’il existe entre les êtres un dialogue qui ne passe pas par les mots, d’une autre nature. »À écouter l’ancienne directrice du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, artistes et chercheurs nous ouvrent des portes, dans le champ du sensible comme dans la compréhension de ce qui nous entoure. « Nous réalisons aujourd’hui la richesse de la vie des plantes, du végétal, du minéral, du monde animal et leur interconnexion avec l’humain. Grâce aux artistes, nous devenons comme les aborigènes, supérieurement affinés, capables de percevoir des formes invisibles. À l’écoute des êtres, du monde du vivant. » L’être humain, microcosme dans le macrocosme de l’univers. En soi rien de très nouveau depuis Héraclite. N’était la redécouverte de cette vérité première à l’ère de l’Anthropocène, du réchauffement climatique et de la biodiversité en péril. À travers ce prisme de lecture, le choix des œuvres ici rassemblées reflète ces préoccupations, corrélées à la prise de conscience tout aussi actuelle de la fragilité de l’existence humaine, intimement liée à son environnement.

La visite commence par une première partie, intitulée « Irradiances », en référence à une pièce historique, l’un des tout premiers tubes fluorescents (1963) de Dan Flavin. L’agencement des œuvres constitue un paysage, un écosystème où se croisent lumière, eau, pierre, vent, organismes vivants… Le solaire Gerhard Richter y côtoie l’alchimiste Sigmar Polke ; un bronze tellurique de Matthew Barney, une mystérieuse roche volcanique de Pierre Huyghe en flottaison dans un aquarium d’eau salée, où évoluent crabes et limules : un écho à l’explosion cambrienne, il y a 540 millions d’années à l’origine de l’apparition des grandes espèces animales sur Terre. Paysages cosmiques encore avec Yves Klein, monochrome bleu IKB ou éponge ; dans une veine lyrique avec Mark Bradford, contemplative avec une « Silver painting » de Jacqueline Humphries, une vidéo silencieuse de Trisha Donnelly ; mystique enfin à la vue de l’anneau et sphère recouverts d’or signés James Lee Byars. Plus avant, l’ordre rencontre le chaos dans L’Avalanche (2006), trente-six tubes de néon bleu suspendus par des câbles de François Morellet. Le film Animitas (2014) tourné dans le désert chilien fascine : le tintement de huit cents clochettes japonaises dans le vent évoque pour Christian Boltanski « les voix des âmes flottantes et la musique des astres ».

Des œuvres vibrantes et hypnotiques

Autre génération, on reste subjugué par Nightlife en 3D (2015) de Cyprien Gaillard, à la bande-son hypnotique. Vient ensuite cette merveilleuse grande salle qui réunit autour du corps quelques chefs-d’œuvre. L’Homme qui chavire de Giacometti répond à Matisse, Kiki Smith, Klein encore… L’expérience se prolonge avec Dominique Gonzalez-Foerster, Maurizio Cattelan, Pierre Huyghe, cette fois avec ce film troublant dans lequel un singe portant un masque nô, habillé en jeune fille, évolue dans un décor de clair-obscur glauque, un restaurant déserté de Fukushima au Japon après la catastrophe nucléaire de 2011, fantôme aussi intrigant qu’inquiétant.

Autre moment fort qui clôture l’exposition, la vidéo Anywhen (2017) de Philippe Parreno. En gros plan, un poulpe traduit sa sensibilité à l’environnement à travers des changements de coloration. Les transformations du céphalopode s’accompagnent de la voix d’une femme ventriloque récitant un texte inspiré du livre culte Finnegans Wake de James Joyce. Les fleurs voraces de Takashi Murakami, son univers inspiré du manga occupent l’étage supérieur. Sous des dehors kawaï, l’artiste nippon y dévoile une facette plus sombre. Plus superficielle aussi, qui souffre de la comparaison avec les chefs-d’œuvre précités. « Les artistes nous apprennent à voir, poursuit Suzanne Pagé. Une œuvre impose une présence sensible. Pontus Hulten parlait de vibrations. » Préserver cette présence, telle est à ses yeux la condition sine qua non d’un accrochage réussi : « C’est un travail de chef d’orchestre. Il faut que chaque note, distincte par sa singularité, soit valorisée, et qu’ensemble elles constituent un accord commun. Je n’aime pas du tout les scénographies. Il faut que cela tienne, non pas par des effets, mais uniquement par la présence des œuvres, tellement respectée que cela se diffuse dans l’espace. » Exercice ici parfaitement maîtrisé.

Au diapason du monde,
jusqu’au 27 août, Fondation Vuitton, 8, avenue du Mahatma Gandhi, 75016 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°504 du 22 juin 2018, avec le titre suivant : Des créateurs à l’écoute du monde

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