Quelle faute François Depeaux (1853-1920) a-t-il bien pu commettre pour provoquer le courroux de Marie Décap, son épouse ? Celle-ci est en tout cas suffisamment blessée pour entamer une procédure de divorce en 1903, obtenir ce dernier cinq ans plus tard et récupérer entre-temps la valeur d’une partie de la collection d’art impressionniste de son industriel mari.
Fort heureusement, le collectionneur était, lui, suffisamment épris d’art pour racheter – à haut prix –les œuvres qui lui appartenaient lors des deux jours de la vente judiciaire de « sa » collection en 1906. À la surprise de Durand-Ruel, qui craignait qu’une telle mise sur le marché fasse s’effondrer la cote des impressionnistes, la vente est d’ailleurs un succès. Le Bal de Renoir enregistre le record du peintre et le magnat du charbon retrouve la jouissance des Monet et Sisley qu’il aimait tant. Pas pour longtemps puisqu’il fait don en 1909 d’une cinquantaine d’œuvres à la Ville de Rouen qui avait vu prospérer ses affaires. C’est cette histoire que raconte aujourd’hui le Musée des beaux-arts de Rouen, une histoire autant locale qu’internationale, tant la collection Depeaux était exceptionnelle. On lui attribue ainsi près de 600 tableaux et dessins, dont soixante Sisley que le collectionneur plaçait au-dessus de tout – les pastels présentés à Rouen pourraient nous lui faire donner raison – et vingt Monet, parmi lesquels une Cathédrale, ainsi que nombre d’œuvres de l’école dite de Rouen (Lebourg, Delattre, Pinchon, etc.). Étonnamment, cette histoire n’était pas, ou très peu, connue, notamment en raison d’une clause de la donation qui interdit à la collection de quitter Rouen. Quel dommage tant une simple déambulation dans les salles est une invitation à la délectation.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°737 du 1 octobre 2020, avec le titre suivant : Depeaux, histoire d’un collectionneur