Paul Delaroche sait parfaitement condenser la rêverie en formules claires et intelligibles. Son génie relève autant de l’imagination et des sentiments que de l’analyse savante et réfléchie. En fin psychologue, ce maître de la peinture d’histoire romantique enrichit la vie affective d’un élément tragique empreint de mystère et de passion, d’une saisissante prégnance. La vie anime ses innombrables héros, de Jeanne d’Arc à Cromwell, en passant par Richelieu, Marie-Antoinette ou Napoléon. Pour autant, ce n’est pas la vie du monde que Delaroche dévoile, mais celle des souvenirs et des espérances, dans une magnifique mémoire d’esthète. Ainsi, sa Jeanne d’Arc (1824), malade, interrogée dans sa prison par le cardinal de Winchester – scène qui en vérité n’eut jamais lieu –, acceptant simplement et dignement les peines éternelles, est sincèrement troublante. Cromwell ouvrant le cercueil de Charles Ier, (1831), nous donne le malin plaisir d’entrer en confidence dans ses plus secrètes réflexions, tandis que la reine Elizabeth (1827-1828), couchée à terre, sombre dans un effrayant désespoir mortel. Autant d’icônes marquant profondément l’esprit, terribles et solennelles, parce qu’elles dénoncent avec opiniâtreté les abus de la violence ou du temps. Dans l’art de Delaroche, très marqué par une technique impeccable et un dessin volontaire, il y a une sorte de sentiment schillérien de la vie historique, ce thème de la fatalité qui abat les grandes âmes sans les détruire. La perspective héroïque de la dramaturgie est très présente dans ses arrangements scéniques habiles, utilisant, par exemple, des grands morts étendus, des vivants debout devant eux et songeant à la fragilité de la gloire humaine ou à la toute-puissance du destin. Ajoutez les héros malheureux (Les Enfants d’Édouard, frêles silhouettes aux visages pâles et maladifs), les jugements iniques, les supplices célèbres (de Lady Jane Grey, qui avance à tâtons vers le billot). Les peintures de Delaroche, vastes mises en scène théâtrales, sont « pleines de vie qui paraissait vraie », où la couleur a sa propre éloquence (le cardinal de Winchester, tout de rouge vêtu, tel Satan, dans Jeanne d’Arc), où l’effet et le mouvement concourent à la puissance dramatique (La Jeune Martyre, « Ophélie chrétienne », poignés attachés, glissant dans la nuit au fil de l’eau, éclairée par une auréole divine). Ce quelque chose de dépouillé et de majestueusement funèbre auquel on adhère avec fascination, ne se retrouve ni dans ses décorations murales (Hémicycle de l’École des Beaux-Arts, Paris, 1837-1841), ni dans ses portraits, où l’intérêt de l’art fait défaut au profit d’une haute probité. Les toutes dernières années de sa vie virent l’accomplissement progressif d’une forme de peinture religieuse presque sans précédent par son pathétique dépourvu d’emphase, et par un nouveau langage formel préfigurant le symbolisme, illustré, entre autres. Delaroche saura également utiliser la lumière de manière originale, et adoptera parfois d’étonnants cadrages, indéniablement novateurs. Delaroche, un peintre inoubliable, comme le regard noir de jais, beau et inquiétant, de son Hérodiade.
NANTES, Musée des Beaux-Arts, jusqu’au 17 janvier et MONTPELLIER, Musée Fabre, 3 février-23 avril, cat. RMN, 245 F.
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Delaroche, images et visages indélébiles
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°512 du 1 décembre 1999, avec le titre suivant : Delaroche, images et visages indélébiles