Pour la première fois depuis trente-deux ans, l’Assemblée Nationale ouvre au public, pendant un mois et demi, la Bibliothèque et le Salon du Roi. Les visiteurs pourront ainsi admirer les peintures murales de Delacroix, et en particulier celles du Salon, à la lumière de leur restauration de 1991 et 1992. Soixante-dix études préparatoires – huiles, dessins, aquarelles et pastels – issues de collections publiques et privées, ainsi qu’un dossier de restauration, accompagneront les œuvres.
PARIS - En 1833 – il est alors âgé de trente-cinq ans –, Delacroix reçoit commande de l’État pour achever le Salon du Roi. Déjà fort célèbre pour ses grandes compositions exposées au Salon – Les massacres de Scio, La mort de Sardanapale, La liberté guidant le peuple –, il s’essaye pour la première fois au décor monumental et va s’y révéler particulièrement habile. Rentré depuis peu de son voyage au Maroc – récemment évoqué à l’Institut du Monde Arabe –, sa conception de la couleur et de la lumière y apparaît déjà profondément modifiée.
Ce long travail s’est déroulé en deux étapes. À chaque fois, Delacroix a utilisé un mélange d’huile et de cire, appliqué sur la toile ou directement sur le mur, qui donne l’aspect de la détrempe. Le Salon du Roi (1833-1836) a d’abord reçu au plafond un développement allégorique illustrant les forces de l’État, accompagné d’une frise et de figures de fleuves sur les murs.
Parfaite adéquation des sujets à l’atmosphère de ce haut lieu
Pour la Bibliothèque, demeurée neuf ans en chantier (1838-1847), l’artiste a choisi un parti différent. Les études, dont certaines seront présentées, sont à cet égard fort explicites sur le cheminement de sa pensée, de ses investigations et de sa sélection. Il a finalement opté pour des sujets groupés de manière thématique, délaissant la personnification au profit d’illustrations d’épisodes littéraires, bibliques, mythologiques et historiques.
La surface de cette seconde pièce, beaucoup plus importante – cinq coupoles et deux hémicycles –, a finalement nécessité l’aide de plusieurs collaborateurs. Volontairement classique dans son propos, son dessin, sa structure et sa destination même, cet ouvrage formidable s’inscrit dans la lignée des grands maîtres de la Renaissance italienne.
On y trouve des citations de Michel-Ange, Raphaël, Véronèse, Rosso ou Primatice, mais aussi des références évidentes à l’antique, Rubens et Poussin. Cependant, dans sa technique, Delacroix annonce déjà les recherches des décennies suivantes.
La critique, enthousiaste, a célébré cette œuvre titanesque, profondément pensée, mûrie, sans cesse modifiée afin que rien n’échappe à l’harmonie définitive. Arlette Sérullaz, commissaire de l’exposition, souligne en effet "l’immensité du travail entrepris par l’artiste afin de trouver la parfaite adéquation des sujets à l’atmosphère de ce haut lieu humaniste".
Delacroix, dans son Journal, fera lui-même état de cette lente et profonde réflexion : "J’ai revu avec plaisir mon hémicycle; j’ai vu tout de suite ce qu’il fallait pour rétablir l’effet ; le seul changement de la draperie de l’Orphée a donné de la vigueur au tout. Quel dommage que l’expérience arrive tout juste à l’âge où les forces s’en vont ! C’est une cruelle dérision de la nature que ce don du talent, qui n’arrive jamais qu’à force de temps et d’études qui usent la vigueur nécessaire à l’exécution." (4 février 1847).
Paris, Assemblée Nationale, 16 février - 1er avril. Ouvert du lundi au samedi de 9h30 à 17h ; entrée libre. Catalogue collectif édité par l’Assemblée Nationale, 170 pages environ, 150 F. Le catalogue a le mérite de proposer pour la première fois un essai de liste exhaustive des études du peintre pour le Palais Bourbon.
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Delacroix en grand décor
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°11 du 1 février 1995, avec le titre suivant : Delacroix en grand décor