Le Musée des impressionnismes Giverny s’interroge sur l’identité impressionniste d’Edgar Degas, et met en évidence tant sa formation classique que son appétence pour la vie moderne.
GIVERNY - D’innombrables peintres du dimanche persistent encore aujourd’hui à s’autoproclamer « impressionnistes » parce qu’ils traduisent la nature ensoleillée par touches dissociées. L’usage galvaudé de ce terme n’est pourtant pas chose récente. La faute sans doute à l’histoire de l’art qui, dès l’origine, est restée perplexe face à la complexité de cette vague sécessionniste et qui n’est jamais parvenue à la définir de manière ferme et arrêtée. « Ce qui unit ces artistes [que le grand public identifie comme impressionnistes], c’est d’abord ce que Zola appelle le “bon combat”. Ils le mènent avec des armes et des stratégies diverses et souvent discordantes, contre la sclérose des institutions plus que pour promouvoir une semblable vision artistique », résume Henri Loyrette, dans sa préface du catalogue de l’exposition « Degas. Un peintre impressionniste ? » qui vient d’ouvrir ses portes au Musée des impressionnismes de Giverny (Eure).
Depuis sa création en 2009, le musée normand s’attelle à circonscrire le phénomène, identifiant ses variations stylistiques et ses avatars géographiques. À vrai dire, la question que pose le musée vaut pour tous les artistes de cette « nébuleuse aux contours imprécis » à laquelle l’ancien président du Louvre fait référence. L’exposition pointe ainsi du doigt la difficulté qui subsiste à définir l’impressionnisme près de cent cinquante ans après l’invention du terme et, d’une certaine manière, dénonce le leurre d’une stricte catégorisation des artistes.
Préséance du dessin
Degas est-il un peintre impressionniste ? Si l’on considère Monet comme le maître étalon – nous sommes, après tout, dans son fief de Giverny –, la réponse est oui… mais non. La même que l’on pourrait fournir au sujet de tous ces artistes qui ont participé aux expositions de la Société des artistes indépendants (laquelle compte Monet et Degas parmi ses cofondateurs), dont la première en 1874 présenta Impression, soleil levant. Oui, Degas a participé à ces huit expositions, celle de 1882 exceptée. Oui, il empruntait ses sujets à la vie moderne, privilégiait les couleurs claires, osait des cadrages inédits et souvent percutants d’instantanéité, posait un regard sans concession sur le corps de la femme, se passionnait pour la photographie… Mais, non, Degas n’était pas un féru de la touche fractionnée, il revendiquait un héritage classique et la préséance du dessin. L’intimité de l’atelier lui convenait bien plus pour élaborer avec soin une apparente spontanéité que la rase campagne où il fallait transporter ses couleurs et son chevalet. Et n’oublions pas que lui-même abhorrait le terme « impressionniste », très vite rentré dans les usages, lui préférant celui d’« indépendant », tandis que les critiques de l’époque peinaient déjà à trouver pour lui une étiquette.
Le corps et sa ligne
Studieuse et appliquée, l’exposition de Giverny, qui a bénéficié de prêts majeurs réjouissants, offre sa (non-)réponse en désignant l’une après l’autre les aspérités propres à singulariser l’œuvre de Degas. Sa formation classique d’abord, teintée d’une révérence absolue pour Jean Auguste Dominique Ingres, a tendance à l’isoler de ses acolytes vomissant l’académisme. Son talent de metteur en scène de la vie moderne ensuite – le commissaire Xavier Rey fait de lui l’inventeur du « portrait en situation », comme en témoignent Lorenzo Pagans à sa guitare (Lorenzo Pagans et Auguste de Gas, 1871-1872, Musée d’Orsay) ou les marchands de coton de La Nouvelle-Orléans (Portraits dans un bureau, 1873, Musée des beaux-arts de Pau). Son intérêt pour le corps, sa ligne et sa mécanique, se vérifie dans un recours à la sculpture qu’il est le seul, avec Renoir, à pratiquer – celui pour la couleur s’éveillera dans les dernières années, au fur et à mesure que sa vue se dégrade. Enfin, ses rares paysages sont ici des pastels de marine éthérés dans la veine symboliste.
Ce portrait en creux d’un artiste farouchement indépendant est salutaire, tant il est nécessaire pour le grand public de comprendre la complexité de ce moment-clé de l’histoire de l’art. À l’origine, le terme « impressionniste » était interchangeable avec ceux de « réaliste », « naturaliste », « intransigeant » ou « indépendant » pour décrire un élan, une énergie avant-gardiste commune. Or aujourd’hui il qualifie un style. Une évolution du vocabulaire qu’il est bon parfois de rappeler.
Commissaires : Marina Ferretti Bocquillon, directrice scientifique du Musée des impressionnismes Giverny ; Xavier Rey, conservateur du patrimoine et directeur des collections, Musée d’Orsay
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Degas, vrai-faux impressionniste
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 19 juillet, Musée des impressionnismes Giverny, 99, rue Claude-Monet, 27620 Giverny
tél. 02 32 51 94 65
www.mdig.fr
tlj 10h-18h, entrée 7 €. Catalogue, coéd. Gallimard/Musées des impressionnismes Giverny, 160 p., 29 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°433 du 10 avril 2015, avec le titre suivant : Degas, vrai-faux impressionniste