Déambulations méditatives

le système artistique que construit Jean-Pierre Bertrand déjoue avec malice et talent l’ordre esthétique et commercial qui règne en France. Pour autant, il serait vain de considérer cet artiste comme un simple pygmalion de la création contemporaine. Au contraire, Jean-Pierre Bertrand est sans doute l’un de ceux qui interrogent avec le plus de lucidité le rôle de l’art, la nécessité pour une œuvre d’exister, la possibilité pour un artiste de jouer sur les déplacements, les retours. Avec l’actuelle exposition à la galerie Michel Rein, cet artiste né en 1937 à Paris propose un ensemble de peintures récentes, Objet/plaque, et une vidéo, Passing through. Cette dernière prend pour origine une séquence de 7 secondes dans le dernier film de Stanley Kubrick, Eyes wide shut, où l’on voit un taxi circuler sur un pont suspendu. Grâce à une série de recadrages sur certains détails de ce travelling, Jean-Pierre Bertrand compose une vidéo de près de 8 minutes qu’il accompagne d’un adagio de Nicolas Bacri. L’incertitude de ce qui est montré contraint donc le spectateur à recomposer une histoire et tenter de reconstituer un semblant de narration. Pourtant, c’est dans les intervalles, les raccords entre ces courtes séquences que se situe tout l’enjeu de cette œuvre.
A l’opposé, les sept objets/plaques se présentent sous la forme de peintures grand formats protégées par une plaque de plexiglas et entourées d’un austère cadre en fer poli. Des feuilles de papier semi-transparentes sont recouvertes d’une peinture fluide qui joue sur les effets de matière, sur l’idée d’un champ coloré sans fin.
Ici encore, les espaces entre chaque œuvre comptent autant que les œuvres elles-mêmes, invitant ainsi le spectateur à une déambulation méditative.