Peter Paul Rubens est à l'honneur à la Rubenshuis d'Anvers, à travers une galerie de portraits de son cercle familial.
ANVERS - Dans les palais à travers l’Europe, il a fait retentir le grondement des tigres, le fracas des chars de la renommée, le rugissement des batailles et des tempêtes se jouant des mortels. Mais, Peter Paul Rubens (1577-1640) était aussi un homme attaché à ses proches et il en a laissé une précieuse trace dans son œuvre.
La résidence où il vécut à Anvers a ainsi réuni des portraits de lui-même et de sa famille dans une exposition rare d’œuvres plus personnelles. Le catalogue est une référence. Sa chronologie détaillée, les essais sur le costume, la fonction du portrait ou la maisonnée de Rubens se fondent sur des études en laboratoire et dans les archives. On n’en dira pas autant de l’accrochage. Sans parler des reflets sur les verres de protection, les organisateurs se sont rangés à cette tendance désastreuse de n’apporter aucune information sur les murs. Le même travers se retrouve dans le reste de la maison, suscitant la perplexité devant des œuvres disparates et leur contexte.
Rubens a vécu dans une famille disloquée, maintenue par des femmes de caractère. Son père, échevin, avait dû s’exiler en Westphalie (Allemagne) en raison de ses sympathies pour la Réforme. Ayant contribué à la grossesse malheureuse d’une princesse, il fut emprisonné et expulsé de Cologne, où il revint finir ses jours. À l’adolescence, Peter Paul avait ainsi perdu son père et trois de ses frères et sœurs. Quelques années plus tôt, sa mère avait ramené la famille à Anvers. Le jeune artiste put ainsi pleinement profiter de ses appuis dans la grande bourgeoisie, et de la période de calme et d’autonomie ouverte dans les Flandres. Son frère Philip devint un lettré proche du philosophe Juste Lipse, adepte d’un stoïcisme chrétien. Les deux frères, qui correspondaient en latin, étaient très proches. Peter Paul rejoignit son aîné à Vérone où il se trouvait avec un autre élève de Lipse. Dix ans plus tard, dans les Quatre philosophes, il les représenta en conversation érudite avec leur maître, un véritable manifeste de la raison, étrangère aux fureurs du monde. Le quatrième, c’est lui, mais il se tient un peu à l’écart, sous un rideau de scène : il y a toujours dans sa peinture un respect des codes sociaux. Resté à 37 ans le seul survivant de la famille, Rubens devint le tuteur d’une flopée de neveux et nièces.
Les femmes de sa vie
En 1609, tout juste nommé peintre à la cour, il avait épousé la fille d’un haut fonctionnaire, Elisabeth Brant, dite « Isabella ». L’exposition réunit tous les portraits de cette femme, à laquelle il donne un air mutin, dont une merveilleuse étude « aux trois crayons ». Elle disparut en 1626 lors d’une épidémie de peste. À 53 ans, l’artiste retrouva le bonheur avec une jeune femme de seize ans, Helena Fourment, fille de drapier. Dans ces portraits (généralement visibles dans les appartements) Rubens pouvait représenter ses épouses en reine de la ville ou en modèle d’amour maternel. Il agrémentait volontiers ces scènes d’un signe symbolique, une colombe s’échappant des mains d’un enfant, une vigne enroulant une colonne ou une fleur d’oranger plantée dans la chevelure.
Il en fit de même dans un nu voluptueux d’Helena, avant de se raviser. Le tableau est connu sous le nom de Het pelsken, « la petite fourrure » qui entoure son corps. Les examens en laboratoire (que l’exposition malheureusement ne mentionne pas) ont révélé que Rubens avait peint à côté du nu une fontaine surmontée d’un petit garçon en train d’uriner, selon un modèle repris d’une statue romaine qui se retrouve dans plusieurs compositions de l’époque. Peut-être a-t-il lui-même jugé l’allusion un peu excessive.
Il peignit aussi sa belle-sœur en jolie bergère, sourire en coin, les lèvres à peine entrouvertes. Dans les décolletés plongeants de ces jeunes femmes, il ne faut pas déduire des mœurs plus volages, « ils témoignent plutôt d’une évolution de la mode dans la première moitié du XVIIe siècle », comme le relève le catalogue. De même, ses « effigies de l’artiste par lui-même » (l’exposition en compte trois des quatre ayant survécu) ne sont pas véritablement des autoportraits. Il ne dévoile pas ses tourments personnels ; il s’affiche « tel qu’il entend être reconnu », en l’occurrence en intellectuel et en grand personnage…
L’exposition y ajoute la redécouverte du portrait, presque en camaïeu, de sa première enfant, Clara Serena. En dépit de la finesse des cheveux et du visage, le panneau fut proposé aux enchères pour 20 000 €, il y a deux ans, comme ayant été peint par un « suiveur », chez Sotheby’s à Londres, avant d’être emporté pour 450 000 € par un collectionneur londonien. Il avait été mis en vente par le Metropolitan Museum de New York comme copie inutile dans ses réserves. Restauré, il est aujourd’hui reconnu comme œuvre de l’artiste, réalisé peu avant la mort de la peste de son aînée à l’âge de douze ans.
Nombre d’œuvres et documents : 41
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Dans l’intimité de Rubens
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 28 juin, Rubenshuis, Wapper 9-11, Anvers, Belgique, www.rubenshuis.be, tlj 10h-17h sauf le lundi, entrée 10 €, catalogue éd. Thames & Hudson 40 €.
Légende photo
Peter Paul Rubens, Portrait de jeune fille (Clara Serena?), huile sur bois, 35,6 x 26 cm, collection particulière. © Sotheby’s.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Dans l’intimité de Rubens