La rétrospective Giorgio Morandi, à l’affiche au Palais des beaux-arts de Bruxelles, peut lasser par l’accumulation de ses fameuses natures mortes.
Né en 1890 à Bolo-gne (Italie), secret et solitaire,Giorgio Morandi a vécu durant cinquante-cinq ans dans l’appartement familial de la via Fondazza, aux côtés de ses trois sœurs célibataires. Travailleur inlassable et sédentaire, il a tracé son sillon à l’écart des grands mouvements artistiques du XXe siècle. Cubisme, futurisme et Peinture métaphysique ont accompagné ses années de formation. Jusqu’au jour où, autour de 1920, il a décidé de s’émanciper pour suivre le timbre de sa voix intérieure. C’est le peintre Carlo Carrà qui l’aide, dans ce cheminement, à se fier à ses propres forces, à s’abandonner à son instinct. « Morandi eut l’intuition [en étudiant l’œuvre de Carrà] que l’utilisation d’éléments figuratifs dotés d’un sentiment humain lui permettrait de réussir la création de “quelque chose” d’éternel », note la commissaire Maria Cristina Bandera dans le catalogue de l’exposition du Palais des beaux-arts de Bruxelles, citant ici Giuseppe Raimondi. De « toucher à l’essence des choses », soulignait l’artiste.
S’éloignant des expérimentations des avant-gardes, le jeune Morandi décide de jouer sa petite musique à lui en s’ancrant dans la grande tradition de la peinture italienne – de Giotto à Paolo Uccello et Piero della Francesca – pour aller plus loin dans sa propre vérité.
Du côté des modernes, il puise chez le Douanier Rousseau, et chez Cézanne qui lui apprend la simplification des formes, comme en témoignent ses graciles « Baigneuses » de 1915-1918 et ses paysages muets privés de toute présence humaine.
Regard introspectif
L’expression est sévère, le regard introspectif. Concentré sur sa toile, palette et pinceau bien en main, Giorgio Morandi s’est représenté en plan rapproché. Baigné par une lumière laiteuse, dans des tonalités empruntées à Corot et éclaircies par des touches de blanc de céruse, le peintre semble absent à lui-même comme à tout ce qui l’entoure. Cet autoportrait du peintre âgé de 34 ans accueille le visiteur à l’entrée de l’exposition. Celle-ci réunit une centaine d’œuvres prêtées par plus de quarante collections publiques et privées prestigieuses parmi lesquelles la Galerie des Offices à Florence, la Galerie civique d’art moderne et contemporain de Turin et le Musée Morandi de Bologne. Maria Cristina Bandera a organisé cette rétrospective de manière chronologique et thématique. Les deux premières salles, consacrées à quelques études de figures humaines et aux paysages, sont les plus réussies.
Créateur obsessionnel de natures mortes et de paysages, Morandi a peint très peu de personnages. Des trois compositions de nus féminins répertoriées, deux sont exposées au Palais des beaux-arts. Baigneuses (1915) représente quatre femmes nues, élancées et archaïques saisies d’un trait épais et sinueux. Suit une aquarelle de 1918 au trait synthétique et géométrique réalisée dans des tons roses, bruns et violets.
« Je travaille toujours d’après nature », déclarait Morandi, qui a multiplié les peintures de paysages, fruits d’une lente recherche intérieure. Celles-ci prennent pour modèle des petits villages de la campagne de Bologne comme les douces collines des Apennins bolonais et ses petits bourgs environnants. La masure de Chiesanuova, peinte en 1925, est compacte et rectangulaire. Habillée de rose pâle, elle est encerclée d’arbres, arbustes et bosquets vert foncé qui se dressent dans un ciel éthéré. Morandi exécute ses paysages sur le motif en battant la campagne équipé de son chevalet. Parfois, il préfère se réfugier derrière la fenêtre de son atelier, armé de jumelles pour adopter le cadrage approprié. Du ravissant village de Grizzana, saisi en contre-plongée, il retient une petite maison blanche inondée de soleil, accrochée à une pente raide au milieu des oliviers.
Clarté lumineuse
Viennent ensuite les natures mortes, qui occupent sept des dix salles de l’exposition. Bouteilles à long col, compotiers, cruches, pots d’étain, lampes à huile et vases de fleurs sont mis en scène sur les toiles, dans des combinaisons sans fin. Grand ordonnateur de son petit théâtre intime, Morandi joue sur la sélection des objets, l’agencement des formes, des volumes – pleins ou vides, concaves ou convexes –, des couleurs et des lumières. On ne peut qu’être séduit par l’équilibre des compositions, leur clarté lumineuse et par les délicates nuances des tons rappelant les fresques de Piero della Francesca. Mais l’enchaînement, salle après salle sur des murs uniformément blanc de ses petits tableaux mutiques et ascétiques finie par lasser. Et la rencontre, mise en scène dans la dernière salle, avec l’artiste contemporain Luc Tuymans, qui partage avec Morandi « une même manière méditée et intense d’avancer dans le travail », laisse le visiteur sceptique. La poésie douce-amère de Morandi se prêterait-elle mal à l’art de la rétrospective ?
Commissaire d’exposition : Maria Cristina Bandera, directrice de la Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto-Longhi à Florence
Nombre d’œuvres : une centaine
jusqu’au 22 septembre, Palais des beaux-arts, Rue Ravenstein 23, Bruxelles, tél. 32 2 507 82 00, www.bozar.be, du mardi au dimanche 10h-18h, le jeudi jusqu’à 21h (18h entre le 21 juillet et le 15 août). Catalogue, 3 versions (néerlandaise-française-anglaise), 35 €.
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Dans le silence de Morandi
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°395 du 5 juillet 2013, avec le titre suivant : Dans le silence de Morandi