Philosophe, Danièle Cohn est directrice du Centre d’esthétique et de philosophie de l’art à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et co-commissaire de l’exposition « De l’Allemagne », au Musée du Louvre.
Isabelle Manca : Pourquoi l’Allemagne compte-t-elle autant de philosophes au XIXe siècle et quelle place occupent-ils dans la vie artistique ?
Danièle Cohn : On a parfois tendance à caricaturer en disant que le XIXe est en Allemagne le siècle des penseurs et des musiciens alors qu’en France il est celui des peintres et des écrivains. Cela est évidemment réducteur, mais il est indéniable que l’on a assisté à un énorme bouillonnement intellectuel en Allemagne à partir de Kant. Kant a ramené la philosophie à des préoccupations plus humaines, en balayant les questions de transcendance et de théologie. Cette doctrine a fait florès, mais a aussi été intensément remise en cause par les savants et les artistes. Il y a eu un brain-storming constant et pluridisciplinaire, car la philosophie était alors considérée comme une partie intégrante de la vie.
I.M. : Comment cette influence se manifeste-t-elle dans les arts ?
D.C. : Il y a une intrication très étroite entre les différentes disciplines, car la philosophie propose des ouvertures. Derrière les œuvres, il y a souvent une élaboration conceptuelle proche de certains préceptes philosophiques, mais cela peut être difficile à discerner car l’artefact demeure un objet matériel et autonome. De plus, l’artiste a toujours un rapport prédateur au monde des concepts, il prend ce qui lui sert et laisse ce qui ne l’intéresse pas, il ne faut donc pas chercher une citation directe des théories, mais plutôt une imprégnation. D’autant que nous n’avons pas de preuve que certains artistes aient lu les philosophes auxquels leurs œuvres peuvent nous faire penser. Par exemple, on ne sait pas si Böcklin a lu Nietzsche.
Cependant, les liens entre la peinture de l’un et les textes de l’autre nous semblent manifestes, on comprend qu’ils partagent une culture commune, une même façon de voir le monde. Mais il s’agit d’une dynamique d’échange qui fonctionne dans les deux sens, certains philosophes ont aussi remis en question leurs idées au contact des artistes.
I.M. : La figure de Goethe apparaît comme incontournable dans la culture allemande, quelle a été son influence dans les arts ?
D.C. : Goethe est très intéressant car il est une figure des Lumières, mais il introduit aussi complètement autre chose. Il a été le témoin d’une succession de mouvements artistiques et a toujours essayé de tenir une position qui pourrait se résumer à « nous avons besoin de la matérialité du monde, car sans elle nous nous perdons dans la subjectivité et dans des boursouflures narcissiques ». Loin de l’image romantique de l’artiste aspirant au sublime et se coupant de la réalité, que l’on a parfois projetée à tort sur lui, il a, au contraire, cultivé une attitude d’artiste savant. Il a traité la science et les arts sur le même plan en essayant de comprendre ce que les deux disciplines peuvent s’apporter mutuellement, et a notamment développé une réflexion fondamentale sur la vision.
Informations pratiques
« De l’Allemagne. 1800-1939. De Friedrich à Beckmann », du 28 mars au 24 juin 2013. Musée du Louvre. Tarif : 12 euros. www.louvre.fr
« L’ange du bizarre. Le romantisme noir de Max Ernst à Goya », jusqu’au 9 juin 2013. Musée d’Orsay. Tarifs : 12 et 9,5 euros.
www.musee-orsay.fr
Les ateliers de Kiefer.
Dans un superbe ouvrage illustré, Danièle Cohn emmène les lecteurs à la découverte des ateliers successifs du peintre allemand, de Buchen à Croissy près de Paris, en passant par Barjac. Dans ses textes d’analyse, l’auteure explique comment ses ateliers sont chaque fois des œuvres en soi, et des clés pour comprendre le travail de l’artiste.
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Danièle Cohn : « Peintres et philosophes partagent une même façon de voir le monde »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°656 du 1 avril 2013, avec le titre suivant : Danièle Cohn : « Peintres et philosophes partagent une même façon de voir le monde »