Cultivant l’étrange, le mystère et l’innommable, le monde de Tanguy échappe à tout entendement

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 31 juillet 2007 - 452 mots

Peinte en 1937, intitulée Jour de lenteur, la seule œuvre achetée par l’État français du vivant de l’artiste un an après sa réalisation présente toutes les qualités stylistiques qui lui sont propres. L’étrange et désertique paysage qu’elle offre à voir, dans une clarté douce et solaire, est ponctué d’objets énigmatiques qui semblent vouloir se poser dans un espace indéfini et illimité. D’autant que les ombres portées quasi « chiriquiennes » de ces derniers accentuent la dimension de mystère.

Contes et légendes informels
La peinture dont le MoMA de New York s’était porté acquéreur – deux ans auparavant, en revanche – est davantage construite. Si son titre – Maman, Papa est blessé ! – fait songer au conte­nu d’une bulle de bande dessinée, il n’en est évidemment rien dans la réalité. Certes on y trouve la même vacuité, les mêmes formes organiques innommables et les mêmes jeux d’ombres, mais la ligne d’horizon est nettement tracée et y figure au premier plan un curieux bâton poilu appuyé sur une masse grise aux allures de rochers qui assoit la composition.
Outre quelques œuvres anciennes montrant des figures explicites – un homme, une femme, un bateau, la mer… – comme dans Les Forains ou Le Phare (1926), l’art de Tanguy trouve très tôt ses marques, celles d’un monde liquide et informel. S’il est empreint de son amour pour la Bretagne, ses vastes plages et ses paysages rocheux découverts à marée basse, il l’est aussi des contes et légendes qui en font l’histoire, comme celle de la ville d’Ys engloutie par les flots.
Dès 1927, Tanguy décline ainsi toute une série de peintures dont l’espace paraît tout à la fois aérien et subaquatique.

Constants paysages ou « la poétique du désastre »
Face à un tableau comme L’Inspiration (1929), on comprend facilement combien cet indicible pouvait plaire à Breton. L’artiste n’a pratiquement jamais dit un mot de sa peinture. Le plus souvent plombées par une dominante gris-bleu métallisé, mais toujours d’une élégance extrême, comme en témoigne Le Col de l’hirondelle (1934), les formes s’articulent parfois entre elles pour constituer des motifs mécanomorphes inédits. D’autres fois elles déterminent un réseau de lignes graphiques qui structurent pour partie l’espace comme dans Les Mouvements et les Actes (1937).
L’installation du peintre en Amérique n’entraîne aucune transformation radicale sinon qu’il travaille volontiers de plus grands formats. Il continue à décliner ce qu’il appelle sa « poétique du désastre » dont Le Palais aux rochers de fenêtres (1942) est une puissante illustration.
Dans les années qui suivent, si sa palette use ici et là de tons plus colorés – Mains et Gants (1946) –, quelque chose d’un entassement se produit parfois – ainsi de la Multiplication des arcs (1954) –, qui joue d’un écart sidéral entre plein et vide.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°593 du 1 juillet 2007, avec le titre suivant : Cultivant l’étrange, le mystère et l’innommable, le monde de Tanguy échappe à tout entendement

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