Constable a passé l’essentiel de sa vie entre East Bergholt, dans le Suffolk (non loin de Londres) – où il naquit, en 1776 –, Salisbury et Brighton. Ces paysages anglais lui inspirèrent la quasi-totalité de son œuvre, à laquelle le Grand Palais, à Paris, rend aujourd’hui hommage. La sélection des tableaux, esquisses, dessins et aquarelles, a été confiée au peintre britannique Lucian Freud. Accordant une large place au portrait, son choix apparaît surprenant à bien des égards.
PARIS - “Il y a assez de place pour une peinture naturelle. Le grand vice d’aujourd’hui est la ‘bravura’, essayer de faire quelque chose au-delà de la vérité. La mode a toujours eu et aura toujours son temps ; mais seule la ‘Vérité’ (en toutes choses) durera, et peut seule avoir de justes droits sur la postérité”, écrit, dès 1802, John Constable, dans une lettre à son ami John Dunthorne. Cette recherche de la “vérité”, cette conception de la peinture, inspire au peintre romantique des paysages conçus comme des fragments, en opposition aux conventions de la peinture classique. En témoigne l’Étude d’un tronc d’orme (1821), dont la composition a inspiré Lucian Freud pour son Portrait de femme nue debout (1999-2000). L’admiration que voue Freud à Constable ne se borne pas à cette petite étude ; c’est d’ailleurs à lui qu’a été confiée la sélection des tableaux pour l’exposition du Grand Palais, à Paris. Outre la célèbre Charrette à foin (1821) et des tableaux similaires, le commissaire a choisi de nombreuses esquisses achevées, de petit ou grand formats, des dessins et des aquarelles, qui soulignent l’audace de Constable et la modernité inhérente à son œuvre. Certains choix apparaissent surprenants : excepté une petite Étude de cirrus (1822), Freud passe quasiment sous silence les études de ciel de Constable, qui ont pourtant concouru à la renommée de l’artiste et auxquelles il reproche leur “petit côté gammes du pianiste”. Il leur préfère les portraits, que Constable a réalisé le plus souvent sur commande, par nécessité économique. Freud semble apprécier la manière dont La Famille Bridges (1804), les Enfants Barker (1809), Mrs James Pulham senior, Mrs Edwards ou Mrs Tuder (1818), représentés sans complaisance, suggèrent la personnalité des modèles. Constable semble procéder de la même façon pour ses portraits que pour ses paysages : il ne cherche pas à imiter le sujet, mais à exprimer les sentiments qui l’animent, à témoigner d’une émotion.
Des esquisses, œuvres à part entière
Quelque peu austère, le parcours alterne portraits et paysages, séparés par de petits compartiments intimistes. Dès 1810, à l’instar des peintres de son époque, le croquis en plein air joue un rôle important dans l’art de Constable. Conçues d’abord comme des travaux préparatoires, certaines esquisses semblent avoir été réalisées pour elles-mêmes, comme les Bords de la Stour, coucher du soleil (1810), œuvre à part entière. D’autres sont tracées en vue de tableaux plus aboutis. C’est le cas de l’esquisse de 1816 dont le ciel tourmenté, le bateau à rames échoué et les deux habitants ont servi à élaborer Weymouth Bay (1819), exposé à ses côtés. Entre 1814 et 1817, Constable essaye de peindre presque exclusivement en plein air des œuvres de moyen et de grand format, telle Construction d’un bateau près du moulin de Flatford (1814-1815), sur laquelle aucune trace d’ébauche préliminaire n’a pu être détectée. L’œuvre graphique de Constable a essentiellement été exécutée sur le motif, dans des carnets de croquis démembrés plus tard. Le dessin de la Grange, recoupé le long du côté gauche, a certainement appartenu à un petit carnet utilisé en juin 1814, tandis que Moissonneur passant devant une chaumière, sur un chemin d’East Bergholt et Churn Wood et l’église de Greenstead proviennent probablement du même carnet, daté de 1817. Des dessins comme Grange près d’une route (1814) sont d’une grande finesse, grâce au soin particulier apporté à certains détails tels que le revêtement de planches du mur à l’extrémité de la grange. Les grandes huiles sur toile exposées en fin de parcours attestent de cette diversité dans l’œuvre du romantique : si Le Cénotaphe (1833-1836) semble avoir été composé avec une grande rigueur, Stoke-by-Nayland (vers 1834-1837), esquisse grandeur nature (destinée à une toile pour la Royal Academy jamais entamée), témoigne d’une facture libre et porte l’empreinte du style des études. À la fois original et déroutant, le choix de Lucian Freud embrasse un plus large choix que celui habituellement retenu de l’art de Constable, soulignant la sensibilité d’un peintre en quête permanente de vérité.
Jusqu’au 13 janvier, Galeries nationales du Grand Palais, entrée par la porte Clemenceau, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, tlj sauf mardi, 10h-20h et 22h le mercredi. Catalogue, RMN, 280 p., 45 euros.
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Constable, la manière libre
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Abonnez-vous dès 1 €À l’image de l’exposition du Grand Palais, l’essai de Pierre Wat rappelle l’importance de Constable comme maître de la peinture européenne. En revanche, à l’inverse de Lucian Freud, l’auteur considère le romantique comme un “portraitiste de second ordre�? et met plutôt l’accent sur les études du ciel, réalisées notamment à Hampstead entre 1820 et 1822. En rupture avec la tradition du paysage, ces esquisses particulièrement soignées ne comportent aucune référence terrestre (arbres, oiseaux, ligne d’horizon) censée donner une échelle au paysage. L’étude intensive du ciel a eu des conséquences sur la production de l’artiste : au fil des œuvres, les ciels deviennent de plus en plus consistants, nuageux et venteux. À la fin de l’ouvrage est présenté le recueil de gravures conçu par Constable autour du Paysage anglais, accompagné de commentaires rédigés par l’artiste. n Pierre Wat, Constable, éditions Hazan, Paris, 2002, 302 p., 92 euros. ISBN 2-85025-828-8.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°157 du 25 octobre 2002, avec le titre suivant : Constable, la manière libre