Des chromos religieux colportés jadis dans les campagnes jusqu’aux stars du web, le Musée de l’image raconte la fabrication de ces figures fantasmées dont la société raffole.
La fabrique des icônes contemporaines fonctionne à plein régime. Les médias, la publicité et le marketing en sont friands. Cinéma, sport, monde du spectacle ou de la mode en génèrent régulièrement, si on se réfère à l’usage le plus courant du terme. Au point qu’agacés, Christelle Rochette, directrice du Musée de l’image à Épinal, et François Cheval, commissaire indépendant, se sont interrogés sur ce qui fait que des personnages aussi différents que Vercingétorix, Che Guevara, Staline, Marilyn Monroe ou encore Ayrton Senna sont devenus des icônes, tout en montrant ce qu’ils ont suscité comme représentations et formes d’images véhiculées. Ces questions sont au cœur de l’exposition « Icônes, les images fantasmées » qui prolonge le parcours permanent du Musée de l’image, consacré à l’histoire de l’imagerie populaire.Les éditeurs et imprimeurs spécialisés dans ce genre ont été particulièrement nombreux dans cette commune vosgienne au XIXe siècle et durant la première moitié du XXe siècle, avec en particulier L’Imagerie d’Épinal fondée en 1796. « Aux origines, l’imagerie est religieuse et son édition sur une feuille de papier que l’on peut mettre au mur, vendue par des colporteurs. La presse illustrée et la photographie ont ensuite pris le relais », rappelle Christelle Rochette. L’illustrateur Jean-Charles Pellerin (1756-1836) et ses successeurs à Épinal ont produit des images aussi bien du Christ et des saints que de Napoléon ou de Jeanne d’Arc, devenus de véritables « icônes ».
À l’origine, le terme du grec eikôn (signifiant image, figure, ressemblance) désigne une image sainte vénérée dans la religion orthodoxe, peinte sur bois. « L’icône relève de la tradition chrétienne : elle est liée à la transfiguration, elle-même relative à une vie héroïque et une fin tragique, souligne François Cheval. Elle dépasse une période de l’histoire, une géographie, un territoire et a une valeur universelle, comme la figure de Che Guevara, figure du révolutionnaire romantique. Le portrait qu’en a fait Korda est devenu le parangon de l’image iconique dont le destin a échappé à son auteur et au sujet même. » Ce qui fait qu’une icône s’établit, qu’elle perdure ou meurt, se soustrait souvent à ses protagonistes par les valeurs qu’elle incarne et transmet. Excepté dans les pays totalitaires dans lesquels, au contraire, l’incarnation de l’homme fort du régime revêt des attributs et une représentation que lui-même définit, et que la propagande installe. Le pouvoir de l’image n’a pas échappé à Staline, et encore moins à Mao Zedong. La diffusion en masse des portraits de ces dictateurs a participé au culte de la personnalité et les a identifiés en guides suprêmes du communisme bien au-delà des frontières de leur pays. Les progrès techniques dans la production et la diffusion des images ont permis une appropriation mondialisée et une démultiplication de leur nombre. « Les icônes, qui s’inscrivaient jusque-là dans le temps long, et qui naguère faisaient consensus, ne provoquent plus l’adhésion que de groupes et de communautés fragmentées. L’évolution et l’accélération constante des techniques rendent les icônes éphémères », constatent Christelle Rochette et François Cheval. Qu’est-ce qui fait alors office d’icône aujourd’hui ? « Les logos de Nike ou de Mac Do… », avancent les deux commissaires.
Chaussée de cuissardes et vêtue du seul drapeau français, Brigitte Bardot incarne la liberté, l’une des trois valeurs de la République. Cette photographie de Sam Levin, qui fut l’un de ses portraitistes préférés, a été réalisée dans le cadre de l’enregistrement du « Spécial Bardot Show », diffusé à la télévision fin 1967. Deux ans après, l’artiste Aslan donne les traits de l’actrice au buste officiel de Marianne, allégorie de la République. Près de soixante ans plus tard, BB continue d’incarner une femme libre, qui décida, à 38 ans, de quitter le cinéma pour vivre ce à quoi elle aspire.
Nullement décrite dans le Nouveau Testament, la figure du Christ est une construction totale. Cette lithographie coloriée au pochoir lui confère une délicatesse de traits, une blancheur de peau diaphane et un regard doux, d’une grande bienveillance. Sa beauté est réconfortante et apaisante. Entre 1889 et 1921, ce Véritable portrait de Jésus-Christ, accompagné de textes de prières, a été diffusé à des milliers d’exemplaires par l’éditeur Jean-Charles Pellerin, installé à Épinal.
Cette monumentale statue de Vercingétorix par Aimé Millet (1819-1891), présentée en 1865 au Palais de l’industrie à Paris, reprend les archétypes totalement fictionnels du Gaulois : moustache tombante, longs cheveux, casque ailé, vêtements médiévaux, cuirasse et épée de l’âge du bronze. L’Histoire des Gaulois d’Amédée Thierry, publiée en 1825, et l’Histoire de France d’Henri Martin, parue en 1834, ont ressuscité le guerrier arverne oublié durant près de dix-huit siècles, le transformant en héros malgré sa reddition à Alésia. Dans une Europe qui connaît une montée des nationalismes et des tensions, Vercingétorix incarne la résistance face l’ennemi. Cette sculpture du vaillant guerrier sera transportée sur le site d’Alésia et reproduite pour être installée dans d’autres lieux de l’Hexagone.
De son vivant comme après sa mort à 34 ans sur le circuit d’Imola, Ayrton Senna (1960-1994) a longtemps été considéré comme le plus grand pilote de tous les temps. Dans son pays, le Brésil, mais aussi dans bien d’autres pays, le triple champion du monde de Formule 1, dès sa disparition, a fait l’objet d’une déification au travers de fresques murales et de statues.
Jeanne d’Arc, autre figure de la résistance dont le visage est inconnu, est devenue comme Vercingétorix une véritable icône au XIXe siècle, époque où l’histoire de France s’écrit à l’aide de récits jalonnés de héros, défenseurs de la France. La représentation de Jeanne d’Arc (vers 1412-1431) qu’en donne ici Alfred Chauffeur était reproduite dans le Catalogue spécial des articles relatifs à Jeanne d’Arc,édité entre 1895 et 1914 par l’entreprise Pellerin. On pouvait se la procurer soit en « grandeur naturelle » (1,92 m), soit à « demi-grandeur naturelle » (1 m).
Sur cette représentation de 1949 de Joseph Staline, l’expression déterminée du visage à la peau lisse et le regard porté vers l’horizon érigent « le petit père des peuples » en garant de la paix. Véritable image de propagande, ce portrait veut incarner la puissance infaillible du maître souverain de l’Union Soviétique.
Quand Cassius Clay (futur Mohamed Ali) reçoit le 18 février 1964 les Beatles dans un gymnase de Miami, il est déjà une légende de la boxe, et le groupe de Liverpool, en tournée aux États-Unis, est adulé par ses fans. Pour la photographie, les « garçons dans le vent » se prêtent au jeu du combat : sans surprise, celui qui remportera son premier titre de champion du monde quelques jours plus tard met les Anglais au tapis.
Entre 1940 et 1944, l’image du « vainqueur de Verdun » est partout présente en France, en particulier lors des cérémonies officielles. Comme celle-ci, organisée par la Milice du régime de Vichy, que saisit le photographe Charles Bobenrieth (1885-1966) dont le travail sur la vie quotidienne à Lyon au cours de la Deuxième Guerre mondiale constitue un précieux témoignage.
Dans cette campagne de promotion pour la sortie en France du film Rivière sans retour (1954) d’Otto Preminger, l’image de Marilyn Monroe (1926-1962) en chanteuse de saloon représentée sur ce poster, flirte avec celle de la pin-up, à la beauté catalysatrice de tous les fantasmes.
Elle est l’image la plus reproduite dans le monde. Beaucoup se la sont appropriée : militants, artistes ou créateurs de mode. Quand Alberto Diaz Gutierrez, dit Korda, saisit le visage Ernesto « Che » Guevara, le 5 mars 1960, lors d’une cérémonie funèbre à La Havane, le portrait du ministre de l’Industrie cubain n’intéresse personne. Mais lors de la première commémoration de sa mort par Castro, en 1967, l’agrandissement de ce portrait sur une hauteur de cinq étages devant le bâtiment du ministère de l’Intérieur le fait entrer dans l’histoire. Avec son béret noir étoilé, le regard aiguisé, le Che est photogénique en diable. Korda fera cadeau d’un tirage de ce portrait à l’éditeur italien Giangiacomo Feltrinelli, qui le publie en version coloriée à des millions d’exemplaires.
Interdite de diffusion sous les règnes de Louis XVIII et Charles X, l’image de Napoléon Ier (1769-1821) refait son apparition à partir des années 1830. Le processus d’iconisation de l’empereur va jusqu’à le déifier, comme dans cette Apothéose, qui réunit autour de lui Alexandre le Grand, César, Gengis Khan et Frédéric II ainsi que des généraux et des soldats saluant ses exploits.
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Comment naissent les icônes ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°775 du 1 mai 2024, avec le titre suivant : Comment naissent les icônes ?