NICE
Le tribunal administratif de Nice a annulé le marché de conception-réalisation de la statue de Jeanne d’Arc au motif qu’une mise en concurrence était nécessaire.
Nice. Sous l’effet du mouvement de décentralisation, les collectivités territoriales ont acquis une véritable autonomie au point d’être devenues essentielles au développement de la production culturelle sur le territoire. Pour autant, la question de la commande publique en matière artistique demeure largement méconnue, peut-être parce qu’elle n’est pas sans risque comme le prouve la condamnation de Nice, le 14 janvier dernier.
En 2023, la Régie « Parcs d’Azur » de la métropole de Nice a lancé un marché public de conception-réalisation d’une statue représentant Jeanne d’Arc dans le cadre de la réhabilitation d’un de ses parcs de stationnement. Ce marché a été attribué à l’Atelier Missor, une société locale spécialisée dans la fabrication française de bustes en bronze, sans publicité ni mise en concurrence pour un montant de 170 000 euros hors taxes.
L’article R. 2122-3 du Code de la commande publique octroie aux acheteurs publics un avantage non négligeable pour « passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé » lorsque « le marché a pour objet la création ou l’acquisition d’une œuvre d’art ou d’une performance artistique unique ». Aussi la Régie avait retenu cette solution car elle semblait la plus logique : l’Atelier Missor était le plus adéquat pour réaliser ce nouveau projet au regard de sa maîtrise des techniques de transformation du bronze, des qualités et du style qui lui sont propres, d’autant qu’il avait déjà fait don, par le passé, d’une statue de Napoléon à la ville de Nice.
Or, le texte précité n’a pas pour objet d’instituer une dérogation générale permettant à la personne publique souhaitant commander la réalisation d’une œuvre d’art, de s’affranchir de toute procédure de publicité et de mise en concurrence, hormis le cas où la personne publique justifie de raisons artistiques particulières. Estimant que ces raisons n’étaient pas réunies, le préfet des Alpes-Maritimes a saisi en urgence le juge des référés. Le 23 février 2024, ce dernier a conclu qu’aucun des arguments avancés par le préfet ne semblait remettre sérieusement en question la légalité du contrat.
Cependant cette position a été infirmée lors de l’analyse au fond. Le 14 janvier 2025, le tribunal administratif de Nice a affirmé que « la Régie Parcs d’Azur n’établit pas que des raisons artistiques particulières auraient exigé que la commande d’une sculpture monumentale devant être implantée sur le parking public, soit confiée exclusivement à l’Atelier Missor » ni que ce dernier « était le seul à pouvoir réaliser l’œuvre d’art en cause ». Une motivation qui rejoint celle déjà formulée en 2013 par la cour administrative de Marseille à propos de la commande par la commune de Barcarès d’une sculpture monumentale pour un montant de 84 000 euros.
Dès lors « en ayant fait le choix d’une procédure […] alors que les conditions permettant d’y recourir n’étaient pas réunies, [la Régie] a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ». Ce manquement « constitue un vice d’une particulière gravité et est ainsi de nature à entraîner l’annulation du marché contesté ».
Le caractère non suspensif du jugement implique donc le démontage de la statue et le remboursement de la somme de 170 000 euros ! L’affaire n’est probablement pas terminée puisque la Régie a indiqué son intention de faire appel.
On le devine, le recours à cette procédure spéciale n’est pas sans danger. La seule circonstance que les caractéristiques techniques de l’œuvre puissent parfaitement répondre aux besoins du pouvoir adjudicateur ne suffit évidemment pas à caractériser l’existence d’un opérateur unique susceptible de répondre à ces besoins : il faut démontrer que nul autre opérateur n’est susceptible de répondre aux besoins du pouvoir adjudicateur. La prudence est donc de mise car l’irrégularité de la conclusion d’un tel marché peut constituer un délit de favoritisme, à l’image de l’instruction toujours pendante auprès du procureur de la République de Nice.
Rappelons que la commande ou l’achat d’une œuvre inférieure à 40 000 euros hors taxes peut être réalisée sans publicité ni mise en concurrence préalable (article R. 2122-8 du Code précité). Ici, l’acheteur public n’est aucunement tenu de démontrer que l’œuvre en question est unique ou qu’elle ne peut être honorée que par un opérateur déterminé. Il doit « seulement » veiller à la pertinence et à la bonne utilisation des deniers publics.
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Statue de Jeanne d’Arc : pourquoi Nice est condamnée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°648 du 31 janvier 2025, avec le titre suivant : Statue de Jeanne d’Arc : pourquoi Nice est condamnée