Soutine a vingt-six ans lorsqu’il s’installe à Céret en 1919. Loutreuil trente-quatre. Il semble qu’ils s’y soient manqués, mais tous deux en rapportent de quoi nourrir leur quête picturale. Tous deux y partagent motifs et rigueur d’observation.
Une vision architectonique de la représentation
Pour Chaïm Soutine, ce sera de façon décisive : il peint des paysages embrasés, tempétueux, des manières épaisses, distordues et quelques-uns de ses portraits ardents et convulsifs les plus denses. Quant à Maurice Loutreuil, il brosse comme Soutine les toits rouges du village pyrénéen et une Place de la Liberté (La Conversation sous les platanes, 1919) largement dominée par la silhouette sombre des arbres.
Mais là où le jeune Lituanien voit des troncs ivres aspirant littéralement le regard vers le centre, Loutreuil structure et dispose. Au premier plan, un trio serré de femmes vêtues de noir, à partir duquel se construit la scène, élancée par le jeu de lignes des arbres. À l’arrière-plan, les bâtisses du village, d’un blanc cassé, terminent de concourir par touches puissantes et déterminées au sentiment de verticalité de la composition.
La toile, bâtie comme un moment de paysage invite l’œil à entrer par degrés et semble, comme l’ambitionnait Loutreuil, « saisir la vie dans tout son frémissement, même immobile ».
La permanence du recours aux portraits
Mais c’est en observant visages et corps que Loutreuil clarifie les principes dictés par son intuition de peintre. Il couchera le sien sur la toile à cinq reprises seulement.
Celui qu’il exécute au retour de Céret (Autoportrait, avant 1920) répond aux codes que le peintre s’était fixé en la matière : une harmonie constructive et tranquille entre la figure et le décor qu’il lui choisit. Loutreuil s’y décrit intimement lié aux peintures qui l’encadrent. Soigneusement vêtu d’une veste sombre et d’une chemise au col boutonné, le cheveu court, l’œil vif et le sourire furtif, le peintre semble se présenter au regardeur. Ou plutôt, affirmer la figure de l’artiste. Et celle-là est déterminée. Bien plus que l’homme, que ses conditions misérables laissent souvent épuisé. Bien plus que le garçon, d’une timidité douloureuse, subissant ce qu’il qualifie de « peu d’avenance physique ».
Mais c’est bien le regard sur l’autre qui guidera cette « construction » spontanée. En témoigne l’épaisseur exceptionnelle de sa correspondance. En témoigne encore la permanence avec laquelle
il recourt au portrait.
En 1918, alors que sa misère est telle qu’il ne peut plus employer de modèles, il fait encore poser les vieillards de l’hospice de Martigues. La Jeune Fille assise sur un hamac (1921-1922), peinte à Belleville, affronte à nouveau le peintre comme le regardeur. Loutreuil mène son unité entre le fond et la figure par une palette tendre, lumineuse, une touche longue, sûre, sans repentir, tantôt curve, tantôt appuyée de biais tout contre sa voisine. Menant structure, mesure et sensation sur un même front.
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Comment Maurice Loutreuil saisit « la vie dans tout son frémissement, même immobile »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°587 du 1 janvier 2007, avec le titre suivant : Comment Maurice Loutreuil saisit « la vie dans tout son frémissement, même immobile »