La science comme l’art ne sont pas toujours là où on les attend. Le Musée Marey de Beaune, en Bourgogne, en apporte l’éclatante démonstration dans une exposition un peu aride mais passionnante.
BEAUNE - Incarnation du savant du dix-neuvième siècle, Étienne Jules Marey (1830-1904) porte barbe blanche et positiviste en collier. Affichant un serein détachement – seul l’intéresse le progrès de la Science –, ses découvertes s’inspirent d’un art naissant, la photographie, et connaissent à ce titre des fortunes bien éloignées de celles qu’il envisageait.
Médecin de formation, il étudie la circulation du sang, puis se passionne pour l’étude du mouvement. Il met alors au point un sphygmographe (1860) qui enregistre la marche d’un homme ou les allures d’un cheval, une méthode graphique qui traduit les mouvements sur un rouleau de papier noirci à la fumée.
Attentive à reconstituer les origines de ces inventions, l’exposition fait un détour du côté d’Eadweard Muybridge. Photographe américain, Muybridge a eu connaissance des travaux de Marey et parvient, en 1878, à prendre plusieurs clichés successifs d’un cheval au galop. Il donne alors à Marey l’idée d’utiliser la photographie pour "arrêter" le mouvement et non plus seulement l’enregistrer.
Marey perfectionne l’appareil photographique en construisant un chronophotographe (1882) qui décompose le mouvement grâce à un obturateur tournant devant une plaque sensible. La photographie trouve alors une application scientifique dont elle ne se séparera plus.
Manque de moyens
Ce sont ces passionnants allers-retours entre les besoins de la science, l’évolution des techniques et les utilisations artistiques de ces découvertes que retrace la deuxième partie de l’exposition. Marey a par exemple donné naissance à l’aérodynamique. Mais les photographies couleurs qui analysent le déplacement de l’air sur une aile d’avion sont aussi proches de l’abstraction gestuelle…
De fait, les inventions de Marey fascinent les artistes. Découvrant ce qu’ils n’avaient jamais vu auparavant, ils utilisent largement ses travaux. Les futuristes italiens (Balla, Severini) reprennent à leur compte ces successions de clichés pour exprimer – et non plus arrêter – le mouvement. Plus tard, les cinétistes (Raphael Soto notamment) créent des situations optiques qui échappent à la déconstruction photographique. Ce rapide panorama des influences artistiques est seulement esquissé à Beaune, le Musée n’ayant apparemment pas eu la possibilité d’obtenir un plus grand nombre d’œuvres, et en particulier des originaux.
C’est peut-être cet écart entre l’ambition du conservateur et ses moyens qui explique la sécheresse de l’exposition. On aurait aimé manipuler les fascinantes machines photographiques, tout comme on aurait aimé voir d’avantage d’œuvres différentes. Cependant, l’exposition démontre opportunément aux scientifiques et aux artistes qu’ils ont en commun l’art de l’invention.
Si l’exposition consacrée à Marey bénéficie d’une scénographie moderne, le musée lui-même est bien poussiéreux. Pourtant, ce ne sont pas les documents qui font défaut, puisqu’on y trouve de nombreux originaux. Aussi, un concours pour la création d’un nouveau musée, qui devrait regrouper le Musée des beaux-arts et celui du vin (nous sommes en Bourgogne…) vient d’être lancé pour donner un cadre qui lui soit digne, à l’ingéniosité scientifique de ce précurseur. En attendant, on peut aussi aller à Beaune pour visiter le magnifique Hôpital général construit en 1443, et pour entendre le festival de musique baroque (pendant le mois de juillet, tél : 80 26 21 30).
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Comment Étienne Jules Marey arrêta le mouvement
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €MAREY, PIONNIER DE LA SYNTHÈSE DU MOUVEMENT, chapelle de l’Oratoire, Beaune. Jusqu’au 10 septembre, du mardi au dimanche de 14h à 18h, entrée 20 F, catalogue français-anglais, 120 F, éd. RMN.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°16 du 1 juillet 1995, avec le titre suivant : Comment Étienne Jules Marey arrêta le mouvement