Le Musée des égouts de Zurich accueille une exposition collective particulièrement centrée sur la scatologie. Dans un pays dont l’apanage est la propreté, le décalage est patent.
Zurich - Au milieu de la principale station d’épuration de Zurich, un petit musée, créé dans le bâtiment qui fût à l’origine le bureau de son directeur, est consacré à l’histoire des égouts. Il présente aussi, jusqu’à la fin octobre, des œuvres contemporaines. Cloaca Maxima tente ainsi de redonner la noblesse que les Romains accordaient à leur invention, et rappelle la permanence avec laquelle digestion et défécation, refoulées au XIXe, ont inspiré les artistes du siècle : de Fountain, l’urinoir de Duchamp (représenté par la réplique du Musée en valise), à la Merda d’artista de Manzoni. Dans une vitrine, une planche de bois pourrie datée du XIIIe siècle, le plus vieil ancêtre connu de notre actuelle lunette de W. C., côtoie les Tourtes de Gasiorowski. Se croisent un pot de chambre en terre cuite du XVIe siècle et un échantillonnage du fameux Meal, organisé par Gilbert & George en 1969 pour David Hockney.
Écouter sans être vu
Pour les œuvres plus récentes, on notera l’incontournable Vidéo-tuyau de Fischli & Weiss, présenté à Beaubourg l’an dernier, film en boucle volé aux caméras de surveillance qui parcourent le réseau de canalisations zurichoises jour et nuit. Christian Boltanski propose un inventaire de toutes sortes d’objets récemment rejetés des conduits : dentier, couverts, clés de voiture, billets de banque, cyclomoteur, tournevis, casque de sécurité écrasé… Gerhard Richter expose un tirage cybachrome réalisé d’après Klorolle, une très belle "peinture floue", où se dévide un rouleau de papier toilettes blanc. La voix d’Ilya Kabakov émane de tyalet russes, reconstituées pour l’occasion dans l’angle d’un mur. Il évoque, en chantant des romances classiques, l’importance qu’avaient les W.-C. dans l’appartement communautaire : à la fois espace public et espace privé, c’était un des rares endroits où l’on pouvait s’isoler, mais aussi écouter les conversations sans être vu.
Fabrice Hybert a rapporté ces couvertures sanglées, et gorgées d’eau croupie, qui freinent le débit des bouches des égouts parisiens. Andreas Slominski pose à portée de main du visiteur un nouveau piège : des bananes dans lesquelles il injecte de l’urine. Piège aussi pour l’Anglais Steven Pippin, qui a dissimulé un micro dans les toilettes du musée. Chaque son est donc amplifié, de manière assez dramatique, par un haut-parleur situé à l’extérieur.
Bon accueil de l’administration
Paul-Armand Gette, qui a déjà exposé dans les toilettes des plus grands musées, expose ici ses natures coites, qui mêlent espaces intimes et sous-vêtements féminins. Carsten Höller a suspendu, sur une corde à linge, des jupons qui flottent dans l’immense hangar où sont parqués tous les camions-pompes des égoutiers. Peter Fend quitte lui aussi les eaux troubles, en hissant devant le musée un nouveau drapeau suisse, dessiné à partir du réseau fluvial. Ce choix prend bien sûr à contre-pied l’idée de l’exposition à thème. S’il est peu courant de voir les latrines en vitrine, son intérêt dépasse de loin celui des cabinets de curiosités. D’abord, parce que la qualité des œuvres est réelle, ensuite parce que, très logiquement dans ces lieux, la partie souterraine de l’exposition a eu autant d’importance que le résultat lui-même. Les artistes ont été extrêmement bien accueillis par l’administration zurichoise, et les ouvriers trouvent, petit à petit, un intérêt aux intrus qu’ont représenté au départ les artistes et les œuvres au sein de l’entreprise.
"Cloaca Maxima", Museum der StadtentÂwässerung Zürich, du 10 juin au 30 octobre 1994. Bändlistrasse 108 8064 Zurich. Tél. : 01 435 51 11.
En plus des artistes mentionnés, sont présents : Maria Eichhorn, Hans Haacke, Allan Kaprow, Mike Kelley, John Miller, Otto Mühl, Nancy Spero, Dieter Roth.
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Cloaca Maxima
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : Cloaca Maxima