Photo

Clergue, premiers albums

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 19 janvier 2016 - 745 mots

Le propos de l’exposition du Grand Palais porte sur les ferments de l’œuvre, qui contiennent déjà le vocabulaire formel et thématique du photographe, et permettent de dresser un portrait de l’homme.

PARIS - Les expositions photo du Grand Palais avaient jusque-là plus que déçu. Celles consacrées à Helmut Newton, Robert Mapplethorpe ou Raymond Depardon n’avaient pas été la hauteur de ce que l’on pouvait attendre d’un tel lieu tant sur le plan du commissariat que de la sélection des œuvres et de la scénographie. L’exposition « Lucien Clergue (1934-2014) », à l’inverse, se révèle un émouvant et inédit retour sur l’œuvre, réussissant même à livrer un regard inattendu après, les deux rétrospectives que lui ont consacrées de son vivant en 2014, à Arles, le Musée Réattu et Les Rencontres de la photographie sous la direction de François Hébel. Alors qu’on pouvait craindre un bis repetita, il n’en est rien.

Au Grand Palais, la collaboration entre François Hébel et le couturier Christian Lacroix, gardiens des premiers travaux de Clergue, permet de revenir sur les fondements grâce à la découverte dans l’atelier du photographe de sept albums de planches-contacts, matrices de ce que l’œuvre deviendra dans les années 1960-1970, unique période ici retenue. Quand Lucien Clergue, entre 1954 et 1956, constitue ces albums en se servant de catalogues de tissus, il est âgé d’une vingtaine d’années. À l’intérieur se découvrent par série les premiers nus, Arles en ruine, les mannequins, les gitans, les bestiaires de la plage, les charognes, Picasso et des portraits de taureau : soit des thèmes qu’il reprendra et développera, excepté celui des gitans qui restera propre à cette période. La mort, le graphisme de ses formes, de ses lignes, s’en disputent les pages avec la vie, l’éloge du beau et du spectacle, arrimés autant l’un que l’autre à Arles et à la Camargue. La capitale romaine est le berceau de Lucien Clergue et fut jusqu’à sa disparition sa terre d’ancrage. Elle est au cœur du dispositif scénographique imaginé par François Hébel et Christian Lacroix, autre Arlésien de naissance auquel le photographe confia le soin de réaliser en 2006 son épée et habit d’académicien.

En posant, en préambule, différentes images de la ville après les bombardements alliés d’août 1944, les albums donnent à voir le paysage de ruines dans lequel Lucien Clergue a grandi à partir de 10 ans, tandis que des portraits anthropométriques de gitans réalisés en 1942 rappellent le regard qu’il porta sur eux, une démarche alors rare chez les photographes. Revenir sur cette période de l’après-guerre, c’est aussi évoquer la destruction de la maison familiale, adresse de l’épicerie que tenait sa mère, son décès en 1952 et le gel de l’hiver 1956 qui provoqua la mort en Camargue de milliers d’oiseaux et d’animaux. Ces événements ont imprégné l’existence de Lucien Clergue et sa photographie. Avancer pas à pas devant ses images de cimetière, de charognes, de saltimbanques, de taureaux et de corridas vient résonner avec le mur couvert de 198 tirages de la série « Contrastes » réalisée en Camargue et en Provence, encore jamais montrée, du moins sous cette forme.

L’ellipse, la recherche de l’intensité des formes, des lignes, de ce que l’ombre apporte à la lumière et vice versa, prévalent dans l’écriture. La série des « Nus » réduite à l’essentiel ou « Le langage des sables » en témoignent ; les portraits de Picasso, Cocteau, Saint-John Perse, évoquent ceux qui l’encouragèrent et le soutinrent dans sa démarche.

Collections photo
Parfaitement découpé et organisé, le propos, circonscrit à ces années-là, dresse un portrait de l’homme comme de la ville d’Arles que rendent encore plus prégnant les témoignages de Wally Bourdet, qui posa pour lui, et de Jean-Maurice Rouquette. C’est avec cet ami d’enfance que Lucien Clergue fonda les Rencontres d’Arles, la collection photo du Musée Réattu et, en 1965, la première section photographie au sein d’une institution muséale. Écouter leurs récits en écho aux deux entretiens du photographe réalisés, pour l’un en 1962, pour l’autre en 2013, c’est suivre l’itinéraire d’un créateur qui a trouvé dans le médium l’expression de sa liberté émancipatrice, et dans la carrière de Manitas de Plata, qu’il découvrit et rendit célèbre, l’expression de son besoin de spectacle, de la scène, tout en faisant de sa ville natale le cadre du plus important festival photo au monde.

Clergue

Commissariat et direction artistique : François Hébel et Christian Lacroix
Scénographie : Véronique Dollfus
Nombre d’œuvres : 7 albums originaux, 20 planches-contacts, 254 tirages vintage, 100 tirages modernes

Lucien Clergue. Les premiers albums

Jusqu’au 15 février, Galeries nationales du Grand Palais, entrée galerie sud-est, av. Winston-Churchill, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, www.grandpalais.fr, tlj sauf mardi 10h-20h, mercredi jusqu’à 22h, entrée 10 €. Catalogue, éd. RMN-Grand Palais, 240 p., 35 €.

Légende photo
Lucien Clergue, Nu de la mer, Camargue, 1956, tirage moderne argentique, 40 x 30 cm. © Atelier Lucien Clergue.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°449 du 22 janvier 2016, avec le titre suivant : Clergue, premiers albums

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