Claire Fontaine se frotte à l’actualité

Poitiers. Revoilà Claire Fontaine. En France, la dernière exposition monographique de cette « artiste collective » s’est tenue en 2015 à la galerie Air de Paris. Le Confort Moderne, à Poitiers, l’a invitée à traiter de la controverse dans la sphère publique, une thématique en phase avec l’actualité comme avec une démarche artistique qui, depuis ses débuts, utilise la peinture, la sculpture, le néon et le texte pour questionner l’impuissance politique. Au risque d’une véhémence un peu vaine ? Claire Fontaine évite cet écueil avec une grâce abrasive.

Dans Portrait de l’artiste en saltimbanque Jean Starobinski écrivait : « Le bouffon, le saltimbanque et le clown ont été les images hyperboliques et volontairement déformantes que les artistes se sont plu à donner d’eux-mêmes et de la condition de l’art. Il s’agit d’un autoportrait travesti… » Placé en ouverture de l’exposition, The Trickster (2014) [voir illustration], mannequin chapeauté d’un haut de forme et recouvert d’une peinture argentée, évoque les mimes grimés postés à proximité des monuments touristiques. Une « allégorie de l’artiste masculin en tant qu’imposteur », précise le cartel, qui rappelle que Claire Fontaine, identité fictive et féministe animée par un couple d’artistes, « questionne la notion d’auteur ». Ceci pour le postulat théorique, que l’on peut choisir d’ignorer en découvrant l’installation in situ, Neewsfloor (Libération). Recouvrant toute la surface au sol, cet immense collage réalisé à partir d’exemplaires récents du quotidien produit un effet de contemporanéité et de déréalisation, comme s’il posait un axe de lecture en ligne de fuite.

Dans cet espace qui annule la perspective, les œuvres semblent flotter, qu’elles renvoient à des images triviales, telles Caught (2016) sculpture inspirée par un panier de basket-ball saturé de ballons, et The American (2018), déambulateur paré de moulins à vent aux couleurs de la bannière étoilée, métaphore d’un idéal national en berne, ou bien qu’elles détournent des références esthétiques devenues des lieux communs : Postcard rack LGBTQ shaved / LGBTQ unshaved (2017-2018), présentoir pour cartes postales reprenant la La Joconde de Duchamp (L.H.O.O.Q.). Accroché à un mur, un porte-drapeau mural à trois branches évoque un fronton municipal qui aurait hissé les couleurs des gilets jaunes, Liberté, Égalité, Fraternité (2018). Un paquet de biscuits en miettes dans son emballage plastique illustre l’imminence d’une pulvérisation explosive, dans un caisson lumineux aux allures de support publicitaire Untitled (Cracked), 2017. Plus loin, un bonhomme de neige boueux concrétise le réchauffement climatique, tandis que les anges de La Lamentation de Giotto tremblent derrière la surface d’un écran fissuré, nouvelle interface universelle.

Il est aussi question de témoignages de la barbarie, d’aliénation individuelle, et de tout ce qui obscurcit le présent, mais envisagé avec une diversité de médias, une concision formelle qui, plutôt que d’enfermer le sens, laisse souvent libre cours à la subjectivité, et à l’ambiguïté. C’est ce qui rend la démonstration passionnante.