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SOLEILS NOIRS - DU XVIIE AU XXE SIÈCLE

Cinquante nuances de noir

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 18 juin 2020 - 846 mots

LENS

Du noir pas vraiment noir aux outrenoirs de Pierre Soulages, l’exposition « Soleils noirs » au Louvre-Lens chemine dans le sillage d’une couleur qui est aussi une humeur. Un parcours un peu erratique qui permet cependant de belles découvertes.

Lens. Programmer un hommage au noir dans cette région charbonnière était une belle idée que la directrice du Louvre-Lens, Marie Lavandier, caressait depuis longtemps. Mais comment approcher le sujet ? Au début du catalogue, les commissaires de cette exposition réalisée en interne – Marie Lavandier, Juliette Guépratte et Luc Piralla-Heng Vong – reconnaissent que « le champ était immense, il fallait faire des choix. Le périmètre retenu pour cette exposition est celui du noir dans la peinture occidentale. » Le texte d’introduction à la manifestation précise le propos : « L’exposition plonge d’abord dans l’expérience universelle du noir qui inspire tant les hommes et les artistes : l’obscurité de la nuit, l’ombre, les contre-jours, tous des phénomènes qui mettent l’art au défi de les représenter. » Dans un premier temps, l’iconographie prime donc, dans la lignée des travaux de l’historien Michel Pastoureau qui a traité de la perception de la couleur noire dans un ouvrage faisant autorité (1). Mais cette exposition thématique de près de 180 œuvres prend également la suite de celle qui était intitulée « Le noir est une couleur », organisée fin 1946 par le galeriste Aimé Maeght, sur l’usage pictural du noir dont on sait le poids dans l’art contemporain.

La première réflexion des visiteurs est sans doute qu’avant le XXe siècle, le noir était finalement peu présent dans la peinture. Il aurait été judicieux de consacrer un petit espace à des explications techniques, optiques et picturales, permettant de montrer que le noir tel que nous l’entendons n’existe quasiment pas dans la nature, ou ce qu’est le ton local. Une présentation des instruments tels que la boîte noire et le miroir noir qui permettaient au peintre de juger de la composition et des valeurs de son tableau aurait été bienvenue, ainsi que celle de toutes les recherches sur le noir dans la gravure, puis dans la photographie qui, indépendamment de leurs résultats magnifiques, ont eu une influence sur l’art des peintres modernes et leur usage du noir.

Le noir débarrassé de la vraisemblance

Si les sujets abordés dans ces premières salles (nuit, ombre, contre-jour, orage) sont noirs par convention, ils ne le sont pas en peinture, ce qui peut paraître déroutant. En revanche, les sujets spirituellement noirs (mélancolie, souffrance, contrition, mort) permettent de montrer des œuvres où les peintres, débarrassés des contraintes de la vraisemblance, ont utilisé cette couleur avec moins de parcimonie. C’est le cas de Gerard Seghers dans Le Christ après la flagellation (vers 1620-1625) ou de Théodule Ribot dont Le Bon Samaritain (1870) présente un corps dévoré d’ombres charbonneuses. Dans cette salle consacrée au « Noir rédempteur » figurent deux memento mori sur fond noir dont Vanité (Allégorie de la vie humaine) de Philippe de Champaigne (vers 1640-1650). Ici encore, on regrette qu’aucun espace de médiation ne soit accordé à la peinture sur fond noir, procédé qui ne vise pas tant à faire ressortir le sujet coloré sur un fond neutre qu’à l’abstraire du monde réel. Cette technique qui date de l’Antiquité et se retrouve jusqu’aux temps modernes en peinture (sans parler des arts décoratifs) montre à quel point le noir a toujours été une couleur signifiante pour les artistes.

« Le noir pour le noir »

Ce n’est que dans la dernière partie de l’exposition qu’apparaît une salle intitulée « Le noir pour le noir ». Or ces mots pourraient s’appliquer à bien des œuvres présentées auparavant, notamment des portraits où les vêtements noirs sont traités avec une virtuosité montrant le talent et la délectation des artistes à travailler cette couleur. Le confinement a empêché certains musées prêteurs d’envoyer les œuvres promises, dont deux tableaux de Diego Vélasquez. Cependant, le portrait François de Lorraine, duc de Guise de François Clouet (vers 1550-1560) ou Berthe Morisot à l’éventail d’Édouard Manet (1874) illustrent bien ce travail.

L’art contemporain, très peu présent dans les espaces précédents, surgit après la salle « Misère noire », où sont accrochés Une scène de Paris de Philippe-Auguste Jeanron (1833) montrant un pauvre hère et ses enfants, et Un martyr (Le Marchand de violettes) de Fernand Pelez (1885), version masculine de la petite marchande d’allumettes d’Andersen. S’ensuit donc la salle « Noirs industriels » au centre de laquelle trône Tas de charbon, sculpture sans forme spécifique de Bernar Venet (1963). On trouve non loin de là ce qui est sans doute le premier carré noir de l’art : intitulé Et sic in infinitum, il a été gravé pour illustrer un livre imprimé en 1617-1618 (Utriusque cosmi majoris scilicet et minoris metaphysica, physica atque technica Historia de Robert Fludd et Matthäus Merian). Ultimate Painting n° 6 d’Ad Reinhardt (1960) lui répond directement, tandis que deux outrenoirs de Pierre Soulages, dont le fondateur Peinture 202 x 453 cm, 29 juin 1979, ferment le parcours. Un peu avant, on aura découvert Issu du feu de Lee Bae (2002), une marqueterie de charbon de bois sur toile, la pépite de cette exposition.

(1) Michel Pastoureau, Noir, histoire d’une couleur, Seuil, 2008.

Soleils noirs,
jusqu’au 25 janvier 2021, Musée du Louvre-Lens, 99, rue Paul-Bert, 62300 Lens.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°548 du 19 juin 2020, avec le titre suivant : Cinquante nuances de noir

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