Renaissance

Cima entre humanité et humanisme

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2012 - 674 mots

Le Musée du Luxembourg présente une trentaine d’œuvres de Cima da Conegliano, maître vénitien peu connu mais très identifiable.

PARIS - Dans l’histoire de la peinture vénitienne, « Cima est le chaînon manquant pour saisir l’évolution artistique entre Giovanni Bellini et Lorenzo Lotto, Giorgione, le Tintoret, le Titien », argue Giovanni Carlo Federico Villa, spécialiste de la Renaissance vénitienne et commissaire de la très belle rétrospective « Cima da Conegliano » au Musée du Luxembourg. Méconnu du grand public français, Cima (v. 1459- v. 1517) n’est pourtant pas un peintre confidentiel. Fruit des campagnes napoléoniennes, le Musée du Louvre détient une superbe Vierge à l’Enfant entre saint Jean-Baptiste et Marie-Madeleine, œuvre tardive dans la carrière de l’artiste originaire de Conegliano, au nord de Trévise. S’y retrouvent les éléments qui ont fait sa grande réputation au tournant du XVIe siècle : une composition aux lignes rigoureuses, une scène sacrée mêlant éléments architecturaux et plein air, un paysage décrit avec précision, des personnages animés par une grande douceur, des expressions individuelles et des détails soignés, un enfant en bas âge à la physionomie réaliste, une déclinaison de coloris soutenus se faisant merveilleusement écho, le tout modelé par une lumière tangentielle d’une grande subtilité.
Sur les 80 tableaux répertoriés du maître, dont une dizaine est en mains privées, la sélection présentée au Musée du Luxembourg représente plus du tiers de sa production connue. Le choix opéré permet de s’imprégner d’une œuvre, au final, très identifiable.

Les leçons des aînés
Comme l’explique le commissaire, Cima est un artiste charnière : il retient la leçon humaniste de Bellini, en donnant âme et grâce à ses personnages, et il s’emploie à intégrer les méthodes de l’école du Nord, en usant avec virtuosité des atouts techniques de la peinture à l’huile. Son emploi dégradé des tons jette les bases du colorisme, qui fera la fierté de l’école vénitienne. Issu d’une famille aisée de Conegliano (Vénétie), Cima s’est fait un nom à Venise sans que l’on sache quels ateliers il fréquenta ou qui furent ses maîtres. Son talent a contribué à parfaire la réputation de la cité des Doges comme pôle artistique rival de Florence, et il fut lui-même célébré pour ses peintures dévotionnelles à l’esprit chaleureux. Deux ans après la rétrospective sur Cima qu’il avait organisé au Palazzo Sarcinelli, à Conegliano, Giovanni Carlo Federico Villa revient, dans le catalogue de l’exposition parisienne, sur les dernières études d’analyses d’infrarouge des tableaux tout en opérant la synthèse des différentes interprétations et théories accumulées par l’histoire de l’art. Parmi les découvertes saisissantes, cette série d’empreintes digitales, et même de traces de la paume de Cima sur le panneau Vierge à l’Enfant entre saint Michel archange et saint André l’apôtre – c’est à mains nues que l’artiste finissait d’estomper ses couleurs et assurait la douceur des formes. Cima, c’est aussi la perfection des détails : cette épée qui se reflète dans la cuirasse de saint Martin, cette veine saillante sur le front de saint Thomas, cette lumière qui traverse la pupille de saint Michel archange, cette larme transparente qui coule sur la joue du Christ coiffé d’une couronne d’épines…
Dans une scénographie sobre à souhait, les œuvres se succèdent dans une ambiance propice à la dévotion. Signalons le prêt exceptionnel du retable peint par Cima pour sa ville natale : La Vierge à l’Enfant entre saint Jean-Baptiste, saint Nicolas, sainte Catherine, sainte Apolline, saint François et saint Pierre n’avait, jusqu’à aujourd’hui, quitté le Duomo de l’Annonciation du Seigneur de Conegliano que pour une exposition voisine, à Trévise, en 1962. Commandé au début des années 1490 par la paroisse au peintre devenu célèbre à Venise, le panneau est, comme le souligne le commissaire, dans un triste état de conservation. On regrette le contraste appuyé entre les espaces plongés dans le noir et l’éclairage très vif dirigé sur les tableaux. Les œuvres sont éblouissantes ; il n’était pas nécessaire d’en rajouter.

Cima da Conegliano

Commissaire : Giovanni Carlo Federico Villa, professeur en histoire de l’art moderne et en muséologie, université de Bergame Scénographie : Jean-Julien Simonot, architecte DPLG

Information

CIMA DA CONEGLIANO. MAÎTRE DE LA RENAISSANCE VÉNITIENNE, jusqu’au 15 juillet, Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, 75006 Paris, tél. 01 40 13 62 00, www.museeduluxembourg.fr, tlj 10h-19h30, 10h-22h le vendredi. Catalogue, RMN-GP, 232 p., 250 ill., 39 €, ISBN 978-2-7118-5990-0

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°368 du 27 avril 2012, avec le titre suivant : Cima entre humanité et humanisme

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