Sophie Ristelhueber n’expose pas la guerre, elle en montre les traces. Une exposition aussi dense dans sa forme que dans son propos, qui, dans l’espace confiné qu’est devenue la galerie, met le spectateur à l’épreuve des réalités.
NANTES - Dans les trois pièces de la galerie Arlogos, Sophie Ristelhueber ne présente que cinq photographies. Cinq tirages noir et blanc, contrecollés sur aluminium, de 2,70 x 1,80 m. Cinq corps morcelés exhibant chacun une cicatrice.
Par cet accrochage très radical, et surtout parce qu’elle n’impose aucun système à la prise de vue, Sophie Ristelhueber parvient à préserver l’intimité de ses modèles. Elle concentre ses images sur les cicatrices, dont les fils n’ont pas encore été ôtés. Comme des lignes de barbelés sur un territoire, elle divisent, pour ne pas dire qu’elles déchirent, la surface du corps et de l’image de manière arbitraire – forcément injuste.
Les photographies de Sophie Ristelhueber ont toujours été liées à une mémoire proche, encore très vive, dans le rapport étroit qu’entretiennent mémoire personnelle et mémoire collective.
Sanguinolent
En 1991, elle avait montré traces et débris laissés dans le désert koweïtien après la guerre du Golfe. Cette série, intitulée "Fait", fut présentée au Magasin à Grenoble et éditée chez Hazan (le livre est encore disponible). On peut toujours mettre en doute les actes, et surtout la manière dont les présentent les médias, que ce soit dans le cas de la guerre du Golfe ou pour celui de l’ex-Yougoslavie – les cicatrices ont été photographiées dans un hôpital de Sarajevo.
On peut par contre plus difficilement en nier les traces. Sophie Ristelhueber propose donc au spectateur de prendre le temps de lire ces signes qui, loin de toute forme de pathos, le renvoient à sa propre réalité, à son propre jugement.
Ces images n’ont pas le caractère réaliste et sanguinolent des photographies prises, par exemple, par Andres Serrano à la morgue. Elles ne jouent sur aucune forme de théâtralité ou de picturalité, et n’en sont que plus denses. Elles n’essaient pas non plus de nous arracher de la compassion pour les victimes, comme les portraits réalisés par Louis Jammes en Bosnie. Ici, les visages ne sont montrés qu’en partie.
On évite ainsi de faire croire que la photo peut transmettre une personnalité. Seul un portrait de cicatrices nous est montré. Par contre, ces signes, eux, tranchent à fleur de peau. Ils prennent même un tel relief que chacun reste imprimé comme un sceau dans la mémoire, longtemps après l’exposition.
"Every one", jusqu’au 17 décembre, galerie Arlogos, 16, bld Gabriel Guist’hau, 44000 Nantes, tél. 40 08 27 88.
Cette série sera également présentée à Londres dans l’exposition "Warworks", au Victoria & Albert Museum, du 11 janvier au 19 mars 1995.
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Cicatrices
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°9 du 1 décembre 1994, avec le titre suivant : Cicatrices