PARIS
L’exposition du Centre Pompidou, axée sur les années parisiennes, de 1975 à 1985, permet de prendre véritablement connaissance du substrat du travail du couple d’artistes pour lequel il est connu, celui de l’empaquetage.
Paris. Il existe une catégorie d’artistes dont la production plastique est immédiatement associée – pour les historiens de l’art comme pour le grand public – à un geste esthétique rare ou à une technique singulière. Les Compressions de César, le bleu outremer d’Yves Klein ou le dripping de Pollock figurent parmi ces « inventions » qui contribuent à la notoriété de leurs créateurs, mais qui en même temps projettent une ombre géante sur le reste de leur œuvre.
Les « emballages » de Christo en sont une autre illustration, d’autant plus que ces travaux ne passent pas inaperçus. Par leur envergure comme par leur nature, ses interventions signalent au spectateur qu’une œuvre d’art n’est pas uniquement un objet, elle peut aussi être un lieu investi d’un rôle symbolique au sein de la cité.
L’exposition que lui consacre le Centre Pompidou permet, dans un accrochage élégant et fluide, de découvrir d’autres facettes de l’œuvre. Précisons toutefois qu’il ne s’agit pas d’une rétrospective, et ceci pour deux raisons. D’une part, la commissaire, Sophie Duplaix, a choisi de se concentrer essentiellement sur les activités de Christo (1935-2020) et Jeanne-Claude (1935-2009) à Paris, de 1975 à 1985, avec, au cœur de l’exposition, l’Emballage du Pont-Neuf en 1985. D’autre part, malgré la disparition récente de Christo, l’heure du bilan n’a pas encore sonné. Son dernier projet, l’empaquetage de l’Arc de triomphe, a été repoussé et aura lieu en septembre 2021.
La décision, peu anodine, de poursuivre cette œuvre monumentale post mortem est inséparable de la méthode pratiquée par le couple d’artistes pour l’ensemble de leurs projets. Si toutes leurs réalisations restent éphémères, le processus qui les voit naître est très long, et surtout planifié à l’avance jusqu’au moindre détail. Les organisateurs en offrent une parfaite démonstration en présentant les différentes étapes de la métamorphose du Pont-Neuf. On peut ainsi visionner le film dans lequel Christo et Jeanne-Claude discutent avec les politiques ou les riverains. Le visiteur découvre aussi les beaux dessins et les collages préparatoires, les divers matériaux utilisés, la toile évidemment mais aussi d’autres composants nécessaires à la construction : cordes, supports, barrières de protection… Enfin, les photos des ouvriers illustrent les efforts acrobatiques et non sans danger que ces alpinistes et plongeurs réalisent pour étaler et fixer la toile. Le point d’orgue est constitué d’une magnifique maquette de taille importante (82 x 611 x 478 cm), celle qui fut exposée pendant quatre semaines dans une vitrine de la Samaritaine afin de rallier la population locale à cette idée extravagante.
Cependant, le parcours ne se limite pas à la mise en œuvre spectaculaire de l’emballage. On suit ainsi son évolution qui va de la peinture aux objets enveloppés, de la sculpture à l’architecture « améliorée ». Même si le passage des deux dimensions au volume semble une évolution logique, toutes ces pratiques sont souvent concomitantes. Mais si Christo reste un excellent dessinateur, il abandonne la peinture assez rapidement, au début des années 1960. Rarement montrées, ces toiles, d’une facture lourde, apparaissent comme des versions un peu maladroites de Dubuffet ou de Tapiès. Néanmoins, ces topographies vallonnées, creusées de protubérances et de cratères, montrent déjà l’intérêt de l’artiste pour les plis de la matière. C’est avec cette matière qu’il va fabriquer les « Surfaces d’Empaquetage », ces « peaux » formées de toiles ou de papiers froissés et rigidifiés par la laque.
Suivront les objets emballés, dont la forme et le titre les désignent (deux chaises, une chaise sur une table, un petit cheval) ; d’autres « colis » conservent le secret sur leur contenu. Inévitablement, on songe aux surréalistes et surtout à L’Énigme d’Isidore Ducasse (1920) de Man Ray. Cependant, l’aspect systématique de l’emballage chez Christo semble le situer moins du côté du mystère caché que du désir de mettre en évidence, accentuées par ce procédé, les lignes de force de l’objet. Qui plus est, à la même période, l’artiste va avoir recours à un objet industriel, des barils de pétrole, qu’il manipule comme les éléments d’un Lego géant. C’est d’ailleurs avec une centaine de ces tonneaux métalliques que Christo va construire sa première installation urbaine, le Rideau de fer de la rue Visconti (1962), une barrière qui a bloqué pendant quelques heures à l’époque cette rue parisienne. Sans doute ce rappel du Mur de Berlin par un artiste bulgare, de même que, en 1995, l’enveloppement du Reichstag, qui a contribué à la célébration artistique de la réunification de l’Allemagne, peuvent être considérés dans son œuvre comme de rares gestes explicitement politiques.
Plus souvent, toutefois, ces sculptures architecturales ou architectures sculpturales échappent à leur destinée initiale, luttent contre l’indifférence du regard sur le volume, sur l’espace et permettent un nouvel aperçu du quotidien.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°549 du 3 juillet 2020, avec le titre suivant : Christo emballe Paris