Artiste de la combustion et de la ligature, Christian Jaccard a fait une donation de 24 de ses œuvres au Centre Pompidou qui les expose avec celles qui figurent déjà dans ses collections.
Depuis les années 1970, le Centre Pompidou avait acquis onze œuvres. Je fais ce don d’une part pour compléter ces acquisitions et rendre hommage aux conservateurs et conservatrices qui se sont engagés sur ces achats. C’est une forme de remerciement que je souhaite exprimer. D’autre part, je pense que cette donation va permettre un meilleur éclairage sur mon œuvre protéiforme et éclectique.
Je les ai sélectionnées en fonction de celles qui sont déjà dans la collection du Centre Pompidou, pour pallier des manques, faire des traits d’union entre des pièces qui peuvent paraître très éloignées les unes des autres. C’est la raison pour laquelle les œuvres que j’ai choisies couvrent une large période, de 1976 à 2008. Je pense améliorer ainsi la visibilité et la compréhension de mes objectifs et faire en sorte que le public se repère mieux dans un travail qui, j’en ai conscience, est complexe. J’ai d’ailleurs réalisé un diagramme de ses différentes ramifications qui est présenté à l’entrée de l’exposition.
Il repose sur le principe des « énergies dissipées » que je considère comme un paradigme réparti suivant deux typologies : celle qui consiste à brûler et celle qui consiste à nouer. Et qui entraînent elles-mêmes d’autres typologies… Depuis le départ, mon œuvre s’articule autour de deux axes, de deux verbes transitifs, « nouer » et « brûler ». Du côté de « nouer », la typologie se développe en quatre points : les nœuds, les boîtes à outils, les sculptures et les empreintes. Et « brûler » en trois thèmes : les empreintes de feu, les outils de combustion et les vidéo-combustions. C’est de toutes ces actions et de leurs ramifications qu’émane ce que j’ai donc appelé les « énergies dissipées ».
Parce que depuis très longtemps, quelques décennies, que je pratique ces actions, je me suis aperçu qu’elles produisent chacune deux formes d’énergie distinctes, deux formes d’énergie qui leur sont propres. Nouer délivre une force physique et brûler dégage une énergie chimique qui développe des traces, des empreintes diverses et variées.
L’ambiguïté et l’intérêt viennent de ce que l’énergie ainsi libérée par ces actions peut être ordonnée ou, au contraire, désordonnée. J’ai donc décidé d’utiliser l’adjectif « dissipé », car cette énergie peut se déployer comme les nuages sous forme de dispersion, d’effacement, et donc elle ne se voit plus. La confection d’un nœud ou d’une brûlure est structurellement le résultat d’une énergie qu’on ne voit pas. Une flamme, par exemple, relève forcément d’une action.
Cela remonte à mon enfance, lorsque j’étais louveteau et que l’on nous apprenait d’une part le Manuel du gabier et d’autre part à faire du feu. De nombreuses années plus tard, le temps et les souvenirs de ces moments, de cette initiation au nœud et au feu, sont remontés progressivement et inconsciemment dans mon esprit. Et au moment où j’ai choisi d’entrer en art, comme on peut entrer en prière, ce sont ces deux éléments fondamentaux qui m’ont permis de développer mon projet artistique. Et je n’ai jamais fait d’œuvres pour m’enrichir : je les ai faites pour savoir pourquoi je les faisais, pourquoi j’avais entrepris cela et pourquoi je continuais.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°540 du 28 février 2020, avec le titre suivant : Christian Jaccard, plasticien : « Cette donation va permettre un meilleur éclairage sur mon œuvre protéiforme et éclectique »