Paroles d’artiste

Christian Boltanski : « Il s’agit dans cette exposition d’une traversée de la vie »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 10 novembre 2015 - 770 mots

À la galerie Marian Goodman, qui fête ses 20 ans à Paris, Christian Boltanski « aborde le passage du temps et peut-être la fin ».

À l’occasion des 20 ans de l’antenne parisienne de la galerie Marian Goodman, Christian Boltanski (né en 1944) convie à une traversée temporelle grâce à des images photographiques s’évanouissant sur des rideaux ou un film tourné dans le désert d’Atacama, au Chili.

Avec votre double autoportrait (« Entre-temps », 2015), les enseignes lumineuses « Départ, Arrivée » (2015) et l’installation d’images suspendues « La Traversée de la vie » (2015), peut-on dire que cette exposition a été pensée comme une considération sur le caractère inéluctable du temps qui passe ?
Derrière une œuvre, il y a toujours un questionnement, par la parole et aussi par l’identité. Lors de ma dernière exposition, ici même, il y a dix ans, il y avait tous ces personnages qui se promenaient et disaient « je suis travailleur, je suis gourmand, je suis quelque chose », et en même temps il y avait mon propre cœur qui battait, il s’agissait donc vraiment d’identité. Ces dix années ont passé, j’ai vieilli, et aujourd’hui on aborde le passage du temps et peut-être la fin. Au sous-sol il y a des fleurs qui pourrissent. C’est une exposition qui n’est pas pessimiste puisque, même si je ne suis pas croyant, le film (Animitas, 2015) évoque une envolée vers le ciel, vers autre chose, et ces petites clochettes sont des âmes errantes. C’est plus serein peut-être.

Ainsi que l’indiquent vos œuvres lumineuses, y a-t-il ici un départ et une arrivée ?
Effectivement il y a un départ, et puis il y a cette œuvre réalisée avec les photos de la famille D. (La Traversée de la vie), des portraits qui sont totalement blanchis et que l’on ne distingue qu’à peine. Cela s’écoule sur plus de trente ans, il s’agit donc, lorsqu’on traverse ces images, d’une traversée de la vie. Puis, en descendant, il y a le nombre de secondes que j’ai vécues et le nombre de secondes vécues par la plus jeune assistante de la galerie (Dernières secondes, 2014), et ensuite il y a la tombe, ce sont les fleurs qui pourrissent ; enfin le film ouvre sur autre chose. Quand je fais une exposition, c’est très construit. J’essaie toutefois de laisser du flou car je pense que le travail est abouti dans une non-précision. Grâce à cela, chacun peut voir ce qu’il a besoin de voir et comprendre ce qu’il a besoin de comprendre.

Dans « La Traversée de la vie », qu’elle est la source des photographies ?
C’est l’album de la famille D., une œuvre réalisée en 1971 pour laquelle j’ai demandé à Michel Durand-Dessert, qui alors ne s’intéressait pas spécifiquement à l’art et n’avait pas encore ouvert sa galerie, de me donner son album de famille. Ce qui me plaisait, c’est qu’il s’appelait Durand, un nom très commun, et aussi qu’il venait d’un milieu petit bourgeois français, sans aucune particularité. J’ai montré cette pièce à Cassel (en Allemagne) en 1972 [à la Documenta V, NDLR] ; ce fut ma première grande œuvre, qui a été déterminante pour moi.

Vous insistez sur l’importance de la réinterprétation de vos pièces, mais pourquoi cette installation est-elle revenue aujourd’hui sous une autre forme ?
Je n’ai pratiquement aucun désir de retrouver de nouvelles sources. Un album de photos est absolument semblable à un autre album de photos. En plus ces photos m’ont accompagné. Je reprends toujours des choses que j’ai pu faire, il y a chez moi un ressassement des idées et des images. Je dois posséder 6 000 ou 7 000 photos de Suisses morts, pourquoi en chercher d’autres ?

Vous dites n’être pas croyant. Votre travail comporte-t-il néanmoins une dimension spirituelle ?
Je suis même assez antireligieux je dois dire, mais en même temps je pense qu’il y a des serrures et que chaque humain cherche la clef à ses serrures, et qu’être humain c’est chercher cette clef, même si pour moi il n’y a pas de bonne clef. Tout le monde cherche à comprendre. À Atacama, une petite communauté indienne qui m’a aidé, je suis devenu ami avec le shaman et nous avons eu des conversations très proches sur le culte des ancêtres. Ce n’est pas forcément spirituel, mais cette recherche est commune à tous. Mais je me méfie de toute personne qui pense avoir une réponse, et chez moi il n’y a que des questions qui mènent à d’autres questions. C’est pourquoi je ne suis pas religieux, car être religieux, c’est penser qu’il y a une réponse. Et ça, je pense que c’est extrêmement dangereux.

Christian Boltanski. Faire-Part

Jusqu’au 19 décembre, Galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 48 04 70 52, www.mariangoodman.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°445 du 13 novembre 2015, avec le titre suivant : Christian Boltanski : « Il s’agit dans cette exposition d’une traversée de la vie »

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