« On n’a aucune raison de croire que, dans l’état de veille, l’esprit suive d’autres lois que dans le sommeil, il y a plutôt tout lieu de supposer que, dans la veille, seule la vivacité des impressions sensibles rend obscures et méconnaissables les images les plus douces de nos chimères. » En peu de mots, Kant arrive à nous dire, plus d’un siècle avant Freud, que le rêve nous habite jour et nuit et que l’inconscient gouverne, dans l’ombre, notre conscience. Il fallait toute l’érudition de Didier Ottinger, à la fois « connaisseur » et « curieux », pour avoir été dénicher cette phrase de l’Essai sur les maladies de la tête du philosophe ainsi que les mille artefacts qui animent de leur mystère les plafonds bas de la salle Antoine Ier. Misfits taxidermistes de Thomas Grünfeld et Grotesques de Cornelis Floris, paysage anthropomorphe maniériste et crayons noirs d’Odilon Redon, cadavres exquis surréalistes et organismes génétiquement modifiés. Aucun rapprochement ne saurait choquer dans ce domaine où le monstre est la norme.
Les « grotesques » contemporains faits à partir du panier de la ménagère par Egana voisinent en toute intelligence avec le « dahu pente gauche » du musée d’Histoire naturelle (sic) de La Chauds de Fonds. Nos commissaires se sont amusés et bien loin, comme Bellérophon d’exterminer Chimère, ont cultivé, apprivoisé et acclimaté les chimères pour notre plus grand plaisir. Le catalogue, à lui seul une chimère signée Actes Sud, rassemble leurs trouvailles comme le parallèle fait par Lisa Capodieca entre idéalisme et réalisme chimériques chez Moreau et Redon ou les commentaires délirants à « ses » (?) créations par Marcel S. Jacquat. Entre le Jacqualope et La Truite à fourrure, chacun peut trouver une mascotte. J’avoue un faible pour l’Agoraphobe pusillanime : « mollusque amphibie à extrémités velues, de la plus grande rareté. » Transplantations dans le corps humain de tissus et d’organes de porcs ou de singes, volailles déplumées du professeur Avigdor Cahaner, lapin fluorescent… À l’heure des clonages, art, science et littérature mêlent leurs chimères transgenres et transgéniques et comme l’affirme dans son essai Laura Bossi : Les chimères sont parmi nous.
« Chimères monstres et merveilles, de la mythologie aux biotechnologies », MONACO, salle du quai Antoine Ier, tél. 377 93 15 80 03, jusqu’au 4 janvier.
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Chimères diurnes et nocturnes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°553 du 1 décembre 2003, avec le titre suivant : Chimères diurnes et nocturnes