Consacrée à la peinture figurative, l’exposition « Cher peintre... » du Musée national d’art moderne offre un panorama forcement arbitraire de son sujet. Sous prétexte d’une rébellion (bien tardive) contre les canons de la modernité, la manifestation ne brille pas par son honnêteté, plaçant dans le rôle du martyr quelques stars du marché anglo-saxon.
PARIS - “Une œuvre d’une fraîcheur et d’une force explosive hors du commun : punk et pop, obsessive et lapidaire, bouleversante et repoussante à la fois.” Sur les cimaises précieusement colorées du Centre Georges-Pompidou, la sentence claque comme une bande-annonce. De quoi s’agit-il ? D’une publicité pour un “best of” des Stooges ? De la ressortie en salle et copie neuve de Salo et les 120 jours de Sodome ? Non, beaucoup plus dangereux : cinq tableaux de Bernard Buffet qui affichent fièrement leur pâte maçonnée, leurs silhouettes antiquisantes et une humanité si fragile. Le vrai rebelle, si longtemps considéré comme un “artiste parisien marginal” – le terme est de la commissaire de l’exposition, Alison Gingeras –, est enfin reconnu. “Déranger le consensus et frayer un chemin pour la réception d’une peinture figurative contemporaine, qui revendique simultanément provocation, dimension critique et plaisir visuel”, voilà le sacerdoce de l’exposition “Cher peintre...” Mais quel consensus ? “Alors que même un public amateur était, il y a un siècle, habitué au langage formel, iconographique et historique de la peinture, et pouvait en décoder le sens, la peinture figurative aujourd’hui a perdu sa lisibilité autant que sa visibilité en général”, poursuit la conservatrice. La planète entière n’aurait donc pour seul horizon que l’art conceptuel et, en 2002, le Musée national d’art moderne se paye le grand frisson avec une exposition sur la peinture figurative.
Francis Picabia, Bernard Buffet, Sigmar Polke, Alex Katz et Martin Kippenberger servent d’arrière-plans historiques contradictoires, voire parallèles et superposés. La génération apparue dans les années 1990 suit, soucieuse de peindre dans une attitude plus ou moins distanciée par rapport aux images médiatiques. Sans surprise, un des positionnements les plus justes vient de Luc Tuymans. Sur la surface de la toile, il doute sans cesse de la mémoire, celle de l’histoire de ses reproductions. Représentant son pays à la dernière Biennale de Venise en 2001, le Belge avait d’ailleurs signé une ode cruelle aux colonies. Agaçants, la maîtrise et les jeux référentiels de Glenn Brown n’en exercent pas moins une fascination incontestable. Les portraits défigurés et brossés accrochés ici sont loin de ses récentes peintures psychédéliques d’astéroïdes. Quant à Bruno Perramant, définitivement à l’aise dans les passages de l’image, il joue, lui, les surimpressions, impose des sous-titres à des peintures issues de films. Ce quotidien fragmenté est aussi celui de Carole Benzaken dont le rouleau de photogrammes/peintures encercle un parterre morcelé.
Comme ailleurs (cet art vidéo dénoncé à maintes reprises dans le catalogue), chacun jugera des champs ouverts par les uns et les autres, et de l’importance du médium dans tout cela. Le propos fait évidemment penser à la manifestation réalisée par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris l’hiver passé (lire le JdA n° 141, 25 janvier 2002). Certes, un peu spectaculaire, pas toujours claire dans ses choix et non exempte d’une fascination pour des images outrageusement photogéniques, “Urgent Painting” avait au demeurant le mérite de l’honnêteté, en montrant seulement que la peinture n’est pas un médium anachronique, qu’elle est juste un outil comme les autres. “Cher peintre...” va plus loin et affiche la peinture figurative comme une réelle subversion, contre “une position de gauche qui régule le capital intellectuel” (Alison Gingeras). Au-delà d’une réhabilitation aussi convenue que comique de Bernard Buffet, la brèche ouverte par “Cher peintre...” est bien celle-là. Un mensonge qui fait passer des stars du marché anglo-saxon (John Currin, Kurt Kauper, et ses peintures pour nouveaux riches californiens, tout droit sorties de la cuisse mondaine de Jean-Gabriel Domergue) pour des martyrs. En jouant les choix du privé contre ceux de l’institution, et de sa propre histoire, le Centre Georges-Pompidou joue à “Cher peintre, fais-moi mal”.
- CHER PEINTRE..., Lieber Maler..., Dear Painter..., jusqu’au 2 septembre, Musée national d’art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris, tlj sauf mardi, 11h-21h, tél. 01 44 78 12 33. Catalogue, coédition Centre Pompidou, Kunsthalle Wien, Schirn Kunsthalle Frankfurt, 200 p., 33,5 euros, www.centrepompidou.fr
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Cher peintre, fais-moi peur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°152 du 28 juin 2002, avec le titre suivant : Cher peintre, fais-moi peur