PARIS
Les musées se tournent de plus en plus vers les techniques d’imagerie médicale pour entrer dans les entrailles des œuvres. Le Quai Branly et le British Museum exposent le résultat de leurs analyses.
« Objets, avez-vous donc encore une âme ? », s’interroge le visiteur face à ces momies égyptiennes ou ces fétiches africains passés sous l’œil introspectif du scanner et des rayons X. Loin de leur statut de chef-d’œuvre inaccessible et sacralisé, les pièces de musées descendent ainsi de leur piédestal pour franchir les portes des hôpitaux ou des cliniques privées.
Il s’agit, ni plus ni moins, de dévoiler leurs entrailles pour mieux pénétrer leurs secrets de fabrication. « On est ici au cœur même du geste et de la matière », résume Christophe Moulhérat qui dirige, pour le musée du quai Branly, l’étude de ces analyses scientifiques. Dans le petit espace intimiste de la mezzanine centrale baptisée « Atelier Martine Aublet », une poignée de chefs-d’œuvre s’offrent ainsi aux regards, dans leur nudité la plus « transparente ». C’est, par exemple, le cas de cette statue Songye de la République démocratique du Congo dont les images au scanner ont révélé la structure interne (reproduisant une sorte de système digestif, un canal a été creusé de la tête vers le ventre), mais aussi les différents matériaux organiques censés activer son efficacité magique. Plus loin, c’est un imposant masque de deuilleur kanak (Nouvelle-Calédonie), dont la visualisation 3D a souligné la sophistication du montage et des matériaux constitutifs : bois, graines, plumes, cheveux, fibres végétales, poils de roussette, pigments… L’étude au scanner a permis en outre de diagnostiquer les zones de faiblesse de l’objet, les traces de façonnage, mais aussi les types de perforation utilisés pour fixer entre elles les différentes parties. Introspective sans être destructrice, l’imagerie en 3D se révèle donc un précieux auxiliaire pour les restaurateurs qui peuvent ainsi pénétrer « virtuellement » au cœur de l’objet, en évitant au maximum toute manipulation. Un peu à la façon dont les chirurgiens s’aident de l’imagerie médicale pour pratiquer les interventions les moins intrusives possible…
Momies déshabillées par la radiographie
Au-delà de leur séduction (les radiographies projetées à côté des objets ont la beauté des expérimentations surréalistes !), les images 3D s’avèrent également un merveilleux outil pour faire avancer la recherche scientifique. L’étude au scanner d’une statuette boli du Mali (un magma de matières nées de multiples offrandes sacrificielles) a ainsi révélé son armature de bois, mais aussi des cornes de gazelle enfouies au cœur de ses entrailles. Plus émouvante encore, la radiographie d’un fardo (paquet funéraire) Chancay du Pérou (1100-1450) a signalé la présence d’un squelette d’enfant placé la tête en bas, en position fœtale. Des épis de maïs, des outils de filage, des graines de cotonnier et des feuilles de coca l’accompagnaient dans son ultime voyage… C’est le même trouble qui étreint le visiteur face à cette statue bizango constellée de miroirs due à l’artiste haïtien contemporain Lhérisson Dubreus. L’examen au scanner de cette effigie destinée à un temple vaudou de Port-au-Prince a confirmé l’insertion d’un véritable crâne humain au niveau de la tête : il appartenait vraisemblablement à une femme adulte d’origine caribéenne…
Animé du même souci pédagogique, le British Museum a choisi, quant à lui, de dévoiler au visiteur l’intimité de huit momies égyptiennes. Soit huit destinées passées à la moulinette du scanner et projetées sur de grands écrans interactifs. Outre les différentes méthodes de momification (plus ou moins sophistiquées selon les époques et le statut social de l’individu), l’on apprend que les sujets de Pharaon n’étaient pas si différents de nous et souffraient des mêmes affections : abcès dentaires, arthroses, calcifications… À contempler la foule de visiteurs (jeunes et moins jeunes) qui se pressaient dans les salles noyées dans la pénombre du British Museum, la fascination semblait le disputer à l’angoisse. Impossible d’oublier, en effet, que derrière ces momies et ces somptueuses images, il y eut des hommes et des femmes qui vécurent et souffrirent, avant d’accomplir leur dernière voyage dans l’Au-delà…
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Chefs-d’œuvre sous rayons X
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 17 mai 2015, Musée du quai Branly, Mezzanine centrale-Atelier Martine Aublet.
Concepteurs : Olivia Bourrat et Christophe Moulhérat.
Entrée libre avec le ticket d’entrée du musée.
www.quaibranly.fr
Ancient lives, new discoveries, Eight mummies, eight stories.
Jusqu’au 19 avril 2015, British Museum, Room 5.
Catalogue sous la direction de John H. Taylor et Daniel Antoine, 192 pages, 19,99 £.
www.britishmuseum.org
Légendes photos
Dubréus Lhérisson, Personnage Bizango, début des années 2000, Tissu rembourré, os, bois, miroirs, métal, 130 x 55 x 30 cm. La tête renferme un crâne humain. © Photo : musée du quai Branly/Thierry Ollivier, Michel Urtado.
Scanner de l'objet : Bizango. © Photo : musée du quai Branly/Christophe Moulherat, avec la collaboration de Chloé Vaniet de la société Xtremviz.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°432 du 27 mars 2015, avec le titre suivant : Chefs-d’œuvre sous rayons X