Nouvelles technologies

Rayons X, radiographie… Les entrailles des objets d’art

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · L'ŒIL

Le 17 février 2015 - 1305 mots

Auréolés de plumes ou recouverts de gangue sacrificielle, les objets des musées semblaient conserver à jamais leur mystère. C’était sans compter sur l’explosion des nouvelles technologies d’imagerie numérique 3D qui dévoilent désormais leurs petits secrets…

Ce sont de drôles de patients que manipulent avec délicatesse les radiologues de la clinique de l’Alma, à quelques encablures du Musée du quai Branly, à Paris. En cette fin de journée hivernale, à l’heure où les malades ont déserté les salles d’attente et les couloirs, d’étranges objets attendent d’être à leur tour passés sous l’œil introspectif d’un scanner à rayons X. On s’attendrait à quelque momie péruvienne prête à livrer le secret de ses entrailles miraculeusement préservées… Mais, aujourd’hui, ce sont deux masques collectés dans les années 1930 dans la forêt équatoriale du Gabon qui sont sur la sellette, bichonnés et entourés de tous les soins préalables pour traverser « l’anneau magique » qui dévoilera soudain toutes les informations si précieuses aux yeux des conservateurs et des restaurateurs de musée : leur structure interne bien sûr, mais aussi, et surtout, les ingrédients éclectiques qui les composent (bois, éléments métalliques, tissus, pigments…). Sous le regard attentif et légèrement anxieux de Christophe Moulhérat, qui dirige pour le Musée du quai Branly l’étude de ces analyses scientifiques, les gestes se font graves, mesurés. On ne manipule pas, en effet, sans une certaine émotion des objets aussi « chargés » d’intentions magico-religieuses.

Recherche pour les uns, sacrilège pour les autres
Devant ces visages taillés dans le bois, recouverts de kaolin et parés de plumes, de grelots et de peaux animales, les radiologues de la clinique de l’Alma sont partagés entre curiosité scientifique et fascination. Mais ce sont les premières images délivrées par le passage à travers l’anneau du scanner qui délient bientôt les langues. Si les plumes, trop peu denses, ont disparu du champ de vision, les « entrailles » des deux masques s’offrent en revanche instantanément au regard. « On est ici au cœur de la matière et du secret de ces objets », résume Christophe Moulhérat, qui ne tarit pas d’éloges sur les applications de ces nouvelles techniques d’analyse et d’imagerie 3D à la conservation et à la restauration des pièces de musée. Au-delà de leur indéniable pouvoir de séduction — certains clichés sont dignes des plus insolites expérimentations surréalistes ! —, les images révélées par les scanners délivrent des informations capitales sur les zones de faiblesse d’un objet, sur d’éventuelles réparations anciennes, voire sur d’insolites matériaux trahissant sa date de fabrication. Mieux : en pénétrant au plus profond des entrailles d’un masque ou d’une sculpture, on retrouve le geste primordial de l’artiste anonyme qui a taillé avec dévotion, il y a près d’un siècle, ces pièces censées incarner un ancêtre tutélaire ou un esprit…

Sacrilège, diront les uns, introspection scientifique, rétorqueront les autres. Car comment ne pas penser au débat entre science et éthique qui a dû agiter les esprits lorsqu’il s’est agi, en 2010, de procéder aux premières analyses (radiographiques et photogrammétriques) effectuées sur des têtes maories. Outre des informations sur le mode de tension et de fixation des peaux, sur les techniques de décor et de consolidation, l’étude au scanner permit de renseigner sur l’état sanitaire des individus sur lesquels on préleva ces têtes (sexe et âge, traces de trépanation, existence de poux…). Autant d’informations précieuses qui furent transmises aux autorités maories lorsque les restes organiques de leurs ancêtres leur furent restitués officiellement en 2012.

Faire progresser les connaissances
Tout aussi symboliques et chargées d’émotion furent les études menées sur les masques de deuilleurs kanaks, en vue de la grande exposition conçue pour le musée par Roger Boulay et Emmanuel Kasarhérou. « C’était une opération assez magique, qui a duré plus d’un an. On a scanné une douzaine d’exemplaires. Chacune des restauratrices en charge d’un masque disposait d’un ordinateur qui lui permettait de disposer des images révélées par l’étude au scanner », se souvient Christophe Moulhérat. « Imaginez : c’était la première fois que les équipes du musée pouvaient entrer à l’intérieur de ces objets, en faisant abstraction de leurs complexes échafaudages capillaires. Sans intrusion, sans destruction, sans manipulation, les restauratrices isolaient les zones sur lesquelles elles allaient intervenir », surenchérit le scientifique. Sont alors apparues d’anciennes restaurations (dont certaines effectuées avec de simples épingles à nourrice !), mais aussi des zones de cassure, révélées par des joints ou des ajouts postérieurs de colle. En outre, l’étude au scanner des masques kanaks a permis de souligner l’extraordinaire complexité de leur structure interne, la richesse de leur composition (bois, graines, cheveux, pigments voire éléments métalliques). Deux exemplaires présentaient même d’étranges traces de blanc dans les yeux qui, une fois identifiées par des analyses, s’avérèrent être des matériaux chimiques postérieurs à la fabrication de ces objets. « Ce sont vraisemblablement des ajouts muséaux à des fins esthétiques », avance prudemment Christophe Moulhérat.

On aurait tort, cependant, de résumer ces fascinantes imageries numériques à de simples techniques introspectives, aussi séduisantes soient-elles. Véritables auxiliaires pour le restaurateur, ce sont aussi de précieux outils de connaissance pour l’archéologue, l’historien de l’art et le chercheur. Ainsi, l’étude au scanner d’un objet magique nkisi kula du Congo débarrassé « virtuellement » de sa gangue sacrificielle a-t-elle permis de mieux comprendre sa structure interne, de mettre à nu la statuette, avant même l’ajout des diverses substances qui l’ont recouverte à des fins rituelles. Pour Hélène Joubert, la conservatrice chargée des collections Afrique qui commandita cette analyse, le choc fut intense : c’est véritablement une autre œuvre qui s’offrait à ses yeux. L’étude d’une statuette fétiche boli du Mali allait s’avérer tout aussi excitante. En pénétrant au cœur de cet objet aussi fascinant qu’effrayant (un magma de matières nées des multiples offrandes sacrificielles de la communauté), le scanner allait non seulement révéler ses structures en bois, mais aussi des cornes de gazelle enfouies au cœur de son anatomie… Mais c’est peut-être l’introspection d’un paquet funéraire (fardo) Chancay du Pérou qui s’est montrée la plus émouvante. Cette enveloppe de tissus enroulés sur plusieurs épaisseurs contenait la momie d’un enfant de 5 à 6 ans, ensevelie tête en bas, accompagnée d’épis de maïs et d’offrandes pour son voyage dans l’au-delà…

Au plus près des mœurs sociales
C’est le même trouble qui étreint le visiteur face à ces momies égyptiennes d’animaux que présente, le temps d’une exposition, le Louvre-Lens. Là encore, l’étude au scanner a dévoilé des pratiques rituelles et des techniques d’embaumement pour le moins surprenantes ! Conduites par Samuel Mérigeaud, un jeune radiologue indépendant passionné d’archéologie, ces fascinantes images 3D nous permettent en outre de voyager virtuellement au cœur même des entrailles de ces chats, ibis, chiens et autres crocodiles adorés par les anciens Égyptiens. Ainsi, l’on apprend qu’il existait de « fausses momies » ou « simulacres » qui ne contenaient qu’un agglomérat de différents composants ne présentant aucun lien avec l’animal censé être embaumé. D’autres momies ne présentaient, quant à elles, qu’une infime partie de l’animal représenté. Enfin, cette momie de chat censée être celle d’un animal adulte ne renfermait que les os d’un tout petit chaton ! En outre, cette étude minutieuse a permis de renseigner les égyptologues sur les techniques de mise à mort des animaux (par traumatisme cervical) et de déterminer leur âge et leurs éventuelles pathologies (maladies ou fractures). On a ainsi découvert sur une momie de chien des pupes d’insectes et sur celle d’une perche du Nil les traces d’une incision au niveau du cou…

Mais là où l’étude de Samuel Mérigeaud se montre des plus piquantes, c’est bien dans ce qu’elle nous révèle aussi des mœurs des anciens Égyptiens. Comme pour celle des humains, les momies animales différaient sensiblement par la qualité. En témoignent ces « ersatz » de bas étage fabriqués avec des animaux dont les corps étaient déjà dans un stade avancé de décomposition. On en frissonne encore…

« L’Anatomie des chefs-d’œuvre », installation, du 10 mars au 17 mai 2015. Musée du quai Branly. Billet collection. Conception : Olivia Bourrat et Christophe Moulhérat. www.quaibranly.fr

« Des animaux et des pharaons, le règne animal dans l’Égypte ancienne », du 5 décembre 2014 au 9 mars 2015. Louvre-Lens (62). Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 10 h à 18 h. Tarif : 9 €. Commissaire : Hélène Guichard. www.louvrelens.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°677 du 1 mars 2015, avec le titre suivant : Rayons X, radiographie… Les entrailles des objets d’art

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