Avec « Des lions et des hommes », la Grotte Chauvet 2 démontre sa capacité à accueillir de grandes expositions et tente de séduire un public familial en misant sur la transversalité de son propos.
Vallon-Pont-d’Arc (Ardèche). « Le regard de l’homme sur le lion est le reflet de l’homme sur lui-même » : Kléber Rossillon, fondateur de la société du même nom qui gère la Grotte Chauvet 2, se fait volontiers philosophe lorsqu’il évoque l’exposition estivale de la grotte consacrée aux félins et à leurs mythes. L’homme, qui a passé les commandes de la société à sa fille Geneviève l’année dernière, a supervisé l’organisation de cette première exposition après son passage de relais, et pour cause : il a lui même soufflé l’idée du lion, fasciné par les représentations léonines visibles à l’intérieur de la grotte.
La « Caverne du Pont d’Arc », devenue la « Grotte Chauvet 2-Ardèche » en début d’année (lire le JdA no 517, 15 février 2019), attend beaucoup de cette première grande exposition qui se veut d’envergure nationale voire internationale. Avec une fréquentation en berne depuis deux ans, sa programmation est essentielle pour faire venir (et revenir) les visiteurs. Confiée à Maria Gonzalez Menendez, docteure en histoire de l’art et responsable des missions culturelles à la Société Kléber Rossillon, assistée de Valérie Moles, préhistorienne responsable de la médiation culturelle et scientifique de la Grotte Chauvet 2, l’exposition a donc un triple objectif : viser un large public, exposer des œuvres muséales et tenir un propos scientifique rigoureux.
Pour résoudre cette équation complexe dans un site qui n’est pas encore identifié comme un lieu d’exposition, la galerie d’expositions temporaires a fait l’objet de travaux de mises aux normes muséales de conservation et de sécurité afin d’obtenir des prêts de qualité de la part d’institutions françaises et européennes.
400 siècles de mythes félins : le sujet, large chronologiquement et géographiquement, aurait pu se résumer à un catalogue de mythes cosmogoniques à travers les continents. Pour cadrer son propos, Maria Gonzalez Menendez a eu la bonne idée de confronter des animaux naturalisés à leurs représentations dans l’histoire de l’art, intégrant l’histoire naturelle au parcours chronologique. De très beaux spécimens naturalisés de grands félins (lion, léopard, jaguar, panthère des neiges et tigre), prêtés par le Muséum national d’histoire naturelle de Paris, sont accompagnés de cartels scientifiques au vocabulaire simple sans être simpliste. Surtout, la commissaire s’est entourée de chercheurs et d’historiens experts chacun d’une période pour construire un propos clair, évoquant de nombreuses pistes aptes à attirer l’attention de chacun selon ses goûts et ses intérêts. Avec 170 objets présentés et sept aires historiques ou géographiques couvertes, cette assistance, essentielle, transparaît dans les textes du catalogue d’exposition, confiés à une trentaine d’auteurs dont Jean Clottes et Carole Fritz pour la préhistoire. À des textes généraux s’ajoutent des « focus » plus érudits.
Très « tendance », la scénographie en pénombre joue habilement des effets de lumière.
S’agissant des œuvres présentées, les organisateurs ont réussi à obtenir des prêts majeurs. Dans la première salle, dévolue au lion des cavernes dont la Grotte Chauvet contient 75 représentations pariétales, le Ulmer Museum (Ulm, Allemagne) a prêté un de ses joyaux, L’Homme-lion. Cette statuette en ivoire de mammouth, composée de 610 fragments d’os, datée entre – 32 000 et – 37 000 ans, représente une créature fantastique et hybride et puise dans une mythologie dont la majeure partie nous échappe encore. Des lions en ivoire sculpté, prêtés par d’autres musées allemands, montrent l’activité artistique du Jura souabe au Paléolithique supérieur. La séquence consacrée au Proche-Orient est sans doute la plus faible. Pour appuyer son propos, la commissaire a en effet fait le choix d’exposer des copies d’œuvres mésopotamiennes et assyriennes venues de musées berlinois sur le même plan que les œuvres originales.
Divinité en Égypte, monstre auquel le héros grec ou romain se mesure dans l’Antiquité, puissance chamanique des Andes ou prestige du chasseur en Afrique, la figure du félin est complexe et multiple au fil des régions et des siècles. Grâce à des prêts du Musée du quai Branly-Jacques Chirac, du Musée du Louvre, du Musée des beaux-arts de Lyon et du Musée Cernuschi à Paris, le parcours est peuplé d’œuvres variées et de qualité. Même les cinéphiles seront comblés, avec la projection d’un large extrait de Dersou Ouzala d’Akira Kurosawa (1975), histoire d’homme et de tigre aux confins de l’Eurasie.
En fin de parcours, une mappemonde illustre le constat accablant de la disparition lente et presque programmée des grands félins sur tous les continents. En Asie, 97 % des tigres sauvages ont disparu en un siècle, 40 % des lions en Afrique au cours des vingt dernières années.
Entre histoire de l’art, histoire des religions, histoire naturelle et écologie, la Grotte Chauvet se veut à la croisée des chemins.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°523 du 10 mai 2019, avec le titre suivant : Chauvet 2 parie sur les expositions