Chagall et Tériade : pour l’amour du livre

Dans la famille des éditeurs d’art, demander jadis la carte du père Tériade (de son vrai nom Efstratios Eleftheriades, 1897-1982) était l’une des meilleures façons d’être assuré de gagner. Marc Chagall, qui s’y entendait en matière d’estampes et de livres illustrés, n’a pas manqué de la réclamer et il a bien fait. Les cinq ouvrages qu’il a réalisés avec cet homme de goût, éditeur des plus grands artistes de son temps, sont de petits bijoux de bibliophilie.
Par le passé, le musée du Cateau-Cambrésis a eu la chance de recevoir en donation de la veuve de l’éminent éditeur l’ensemble des cinq livres produits par ce dernier avec Chagall. Les Âmes mortes de Gogol (1948), les Fables de La Fontaine (1952), la Bible (1956), Daphnis et Chloé de Longus (1961) et Cirque (1967), de Chagall lui-même, sont aujourd’hui le prétexte d’une exposition très ciblée qui nous offre à découvrir un aspect pas toujours connu de l’art de ce Russe émigré.
Si l’on préfère souvent l’œuvre peint que l’artiste a réalisé avant qu’il ne quitte son pays natal et qu’il n’abandonne sa culture hassidique, il convient de reconnaître que ces livres révèlent un rare talent dans la façon de marier texte et image. Les gouaches préparatoires qui accompagnent ces différentes éditions procèdent d’une invention plastique que la peinture qui leur est contemporaine ne possède plus vraiment. Comme si la dimension de la feuille entraînait Chagall à une liberté retrouvée par-delà les contraintes du cahier des charges imposé par la narration du sujet traité.