Deux biennales viennent d’être inaugurées en Asie : celle de Taipei et « Media City Seoul ». La seconde, la plus ambitieuse, s’est judicieusement spécialisée en art et technologie, se référant à l’avancée informatique et électronique de la Corée du Sud. Plus petite et plus novatrice, la première, coorganisée par Jérôme Sans, se déploie au Taipei Fine Arts Museum.
HONG KONG (de notre correspondant) - “Media City Seoul” propose des démonstrations multimédia interactives, un programme pour enfants intitulé Digital Alice et différents projets pour le métro, signés par de jeunes artistes réunis sous la houlette du critique Byoung Hak Ryu. Le commissaire général de l’événement est Misook Song, professeur d’histoire de l’art, ancien conservateur du Samsung Museum of Modern Art et commissaire du Pavillon coréen pour l’édition 1999 de la Biennale de Venise. Le Seoul Metropolitan Museum of Art accueille l’exposition principale, “Media Art 2000”, organisée par Barbara London, conservatrice du département “New Media” au MoMA de New York, et Jeremy Millar, commissaire indépendant (auquel on doit déjà “Airport” et “Speed” à la Whitechapel Art Gallery de Londres). Cette exposition propose une vision élégante, panoramique, mais aussi éclectique de l’art vidéo de ces vingt-cinq dernières années. Cette approche se justifie d’autant plus que cette forme d’expression artistique n’a jamais été montrée de façon aussi exhaustive en Corée. Sa partie historique comprend Command Performance (1974) de Vito Acconci, ainsi que des œuvres de Laurie Anderson, de Bruce Nauman et du Coréen Nam June Paik. La jeune génération est représentée par Matthew Barney, Dan Graham, Gary Hill, Charles Long, Tony Oursler, Rosemarie Trockel et Stan Douglas.
Les œuvres signées d’artistes moins connus semblent avoir plus d’éclat, notamment les pièces de Lynn Hershman, Marco Brambilla, Perry Hoberman, Christa Sommerer, Laurent Mignonneau et Carey Young. Rarement présentés à l’étranger, plusieurs artistes coréens ont attiré notre attention, comme Park Chan-kyong qui photographie par exemple des paysages urbains à première vue inoffensifs, mais qui, en y regardant de plus près, sont en fait des terrains d’entraînement pour les particuliers en cas d’une autre guerre de Corée.
Films pornographiques, voire “snuff movies”
Le projet le plus intéressant, “City Vision”, a été conçu par Hans-Ulrich Obrist qui a programmé une série de vidéos destinées à être diffusées sur les immenses écrans répartis dans Séoul. Les œuvres, interludes informels, viennent s’intercaler entre les publicités qui restent majoritaires. Hans-Ulrich Obrist a sacrifié à la tradition en sélectionnant les participants parmi les acteurs du monde de l’art international (Douglas Gordon, Christian Boltanski), les architectes (Zaha Hadid, Rem Koolhaas) et les metteurs en scène (Chantal Akerman, Alexander Kluge). Boltanski a, par exemple, réalisé un montage à partir de vieilles photographies de visages, qui donnent l’impression de hanter les lieux. La transformation en accéléré du paysage urbain de Tokyo, de Yoshihisa Nakanishi, produit l’effet inverse, à l’instar de Under the Bridge Oshodi, de Koolhaas, qui transpose le chaos de Lagos sur celui de Séoul.
Cependant, l’œuvre la plus marquante a été retirée des expositions sans autre forme de procès, à la suite des protestations du public. Il s’agit de Flush, d’Ilgon Song. Son imagerie dérangeante, évoquant celle des films pornographiques, voire même des “snuff movies”, s’inspire d’une tragédie récente relayée par les tabloïds de la capitale de la Corée du Sud : l’histoire d’une adolescente de douze ans qui s’est fait avorter au troisième trimestre de sa grossesse dans des toilettes publiques, parce qu’elle avait trop peur de dire à quiconque qu’elle était enceinte.
Articles de ménage
De son côté, la Biennale de Taipei s’avère plus novatrice. Les deux commissaires indépendants, Manray Hsu (Taipei) et Jérôme Sans (Paris), ont su tirer parti d’une plus petite structure puisque l’exposition se déploie uniquement au Taipei Fine Arts Museum. Jérôme Sans a aussi transformé les boîtes de nuit de Taipei en salles de conférences informelles où ont été organisées pendant une semaine des discussions sur l’art, facilitant ainsi l’accès de la biennale aux habitants. Si la Biennale de Séoul mérite une meilleure critique – mieux organisée et installée, œuvres plus riches –, celle de Taipei témoigne d’un esprit d’aventure et réunit davantage d’artistes méconnus et non occidentaux. La Biennale de Taipei a été montée en six mois et même si ses défauts et imperfections sont parfois visibles, ils ont contribué au charme de l’événement. L’œuvre la plus remarquée est celle de Surasi Kusolwong, Everything NT20, une installation reconstituant un marché de Bangkok, où étaient vendus des articles de ménage spécialement importés de Thaïlande. Parmi les autres œuvres présentées, figuraient des pièces de Lee Mingwei, Liza Lou, Kim Soo-ja, Pascale Martine Tayou, Kendell Geers ou Wang Du. Shu Lea Cheang a fait sensation avec Fluid. Cette artiste de Taiwan résidant à New York, gagne sa vie en tant que réalisatrice de films pornographiques japonais. Sa performance à Taipei n’était autre que le casting de son prochain film. Castings, avortements diffusés sur les écrans vidéo publics, rien de tout cela ne serait envisageable dans le bastion autoproclamé de la liberté d’expression : les États-Unis.
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Cette Asie qui se libère
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Abonnez-vous dès 1 €Media City Seoul, jusqu’au 31 octobre, Seoul Metropolitan Museum of Art, 8-20 Yejang-dong, Chung-gu, Séoul, Tél. 82 2 772 9841, internet : www.mediaseoul.org
Biennale de Taipei, jusqu’au 7 janvier 2001, Taipei Fine Arts Museum, 3 Chungshan N Rd, Taipei, www.taipeibiennial.org
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°112 du 6 octobre 2000, avec le titre suivant : Cette Asie qui se libère