Le Mémorial de la Shoah livre la première exposition sur les juifs exécutés par balles en Ukraine durant la Seconde Guerre mondiale.
PARIS - De 1941 à 1944, en Ukraine, près d’un million et demi de juifs ont été exterminés par l’Allemagne nazie. La plupart d’entre eux ont été fusillés par les Einsatzgruppen (groupes d’intervention de la Waffen SS), mais aussi par des membres de la police allemande et des collaborateurs locaux. Le Mémorial de la Shoah, à Paris, consacre, pour la première fois au monde, une exposition sur cet aspect peu connu de la Shoah, puisque certaines familles ukrainiennes ignorent encore comment et à quel endroit leurs proches ont été assassinés. Le projet a vu le jour en 2004, lorsque le Père Patrick Desbois, président de Yahad-In Unum (1), et son équipe partent sur les traces des juifs d’Ukraine tués par balles. Leurs recherches les ont conduits dans différents villages ukrainiens où les témoins des atrocités commises – à l’époque des enfants ou des adolescents – ont accepté de revenir sur ce douloureux chapitre de leur histoire. Réquisitionnées pour creuser et combler les charniers, pour transporter les corps des victimes, ou simples spectateurs des exécutions, ces personnes aujourd’hui âgées ont décidé de mettre fin à soixante années de silence. Confrontés aux sources écrites (les fonds d’archives des tribunaux allemands et des commissions soviétiques), leurs témoignages ont déjà permis de localiser plus de cinq cents fosses communes. Grâce aux vidéos de l’artiste Natacha Nisic, leurs voix sont diffusées au cœur d’un parcours aussi sobre que bouleversant.
En introduction, un diaporama dévoile des paysages a priori anodins mais d’où bientôt émergent les fosses communes et l’histoire du génocide des juifs d’Ukraine. Des sites comme Babi Yar (ravin au nord-ouest de Kiev), le camp de Bogdanovka, en Transnitrie, ou la forêt de Lyczakov (aujourd’hui Lisinitchi) révèlent leur lourd passé. « Je me souviens de la fosse, de la planche, de cette femme qui était dessus avec son enfant. Ils lui ont tiré dessus et elle est tombée dans la fosse avec l’enfant », raconte Sofia Fonteniuk, née en 1913, interviewée à Lissivtsi (région de Tarnopol), en août 2005. « Une nuit, je dormais, c’était l’été, la Polizei est venue me chercher, m’a dit de prendre une pelle et de venir enterrer les corps », relate Martin-Grygory Petrovitch, né en 1921, interrogé à Borove (région de Lvov) en avril 2004. Dans un souci de restitution scrupuleuse des faits, la scénographie retrace, photographies et archives écrites à l’appui, chaque étape du processus d’extermination, depuis les convocations par voie d’affichage, radio ou haut-parleurs, jusqu’à la vente des biens après l’exécution. Sont également exposées des preuves matérielles du génocide : armes, douilles, balles et objets personnels découverts sur place. La présentation s’achève sur l’expertise archéologique d’une fosse commune dans le village de Busk, venant confirmer les déclarations des témoins. Le Mémorial évoque, enfin, le destin individuel de Dora, enfant de 5 ans, assassinée à Simferopol en Crimée. « Je sais où ils ont été fusillés parce que là-bas il y a un buisson qu’on arrache tout le temps et malgré cela il continue à pousser. C’est comme s’il m’appelait tout le temps », raconte sa demi-sœur née en 1947, Nina Iourivna Bakchi, interviewée à Belogorsk, en Crimée, le 6 janvier 2006.
L’ensemble des recherches doit être terminé d’ici à 2010. Un travail similaire pourrait être réalisé en Roumanie, en Russie, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, en Biélorussie et, pour une partie, en Pologne. « Il y a désormais urgence à recueillir des témoignages avant que les témoins ne disparaissent », précisent le Père Patrick Desbois et Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah. L’institution parisienne a su, une fois encore, remplir avec justesse et sensibilité son indispensable devoir de mémoire.
(1) association créée à l’initiative du cardinal Lustiger, du cardinal Ricard et d’Israël Singer afin de promouvoir des initiatives communes entre catholiques et juifs.
jusqu’au 30 novembre, Mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy-l’Asnier, 75004 Paris, tél.01 42 77 44 72, www.memorialdelashoah.org, tlj sauf samedi, 10h-18h et 22h le jeudi. Publication, Memorial de la Shoah/Fondation pour la Mémoire de la Shoah/Yaha-In Unum, 110 p., 39 euros, ISBN 978-2-916966-53-3.
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« C’est comme s’il m’appelait tout le temps »
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissariat général : Sophie Nagiscarde, responsable des activités culturelles du Mémorial de la Shoah, assistée de Marlene Rigler, service des expositions - Commissariat scientifique : Père Patrick Desbois, président de Yahad-In Unum ; Édouard Husson, docteur en histoire, maître de conférences à l’université de Paris IV-Sorbonne. - Scénographie : Natacha Nisic - Réalisation des films diffusés : Natacha Nisic, François Labat (Arte France développement)
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°263 du 6 juillet 2007, avec le titre suivant : « C’est comme s’il m’appelait tout le temps »