L’œuvre du chantre du Nouveau Réalisme qui a révolutionné la sculpture classique en utilisant des techniques industrielles se déploie au Centre Pompidou dans une rétrospective d’envergure.
Paris. L’exposition de César ne ressemble en rien à une rétrospective habituelle. Ici, pas d’enchaînement de salles selon un ordre chronologique. En retirant les cimaises, en aménageant les œuvres sur un large plateau ouvert à la lumière, les commissaires obligent le spectateur à s’immerger tout de suite dans son univers. Perception simultanée, circuit libre, c’est ici une invitation à établir des ponts visuels entre différentes périodes de cet artiste boulimique. Inévitablement, le visiteur qui n’a pas en tête son histoire de l’art risque de se perdre au début de la déambulation, mais le jeu en vaut la chandelle. De fait, on constate rapidement que cette présentation permet de mettre entre parenthèses une vision traditionnelle étroite de la production plastique de l’artiste, réduite à ses « Compressions » ou à son fameux Pouce. Ces œuvres, qui ont fait la notoriété de César - autant que son personnage pittoresque et exubérant - l’ont souvent desservi. À tort, car même si les commissaires s’emportent un peu quand ils présentent le sculpteur marseillais comme « à la fois héritier de Picasso, Gonzálès ou Giacometti », l’œuvre de César a clairement apporté des innovations dans la sculpture du XXe siècle.
L’artiste s’efface au profit de l’anonymat de la machine
César, de même que les autres artistes rassemblés sous le vocable de Nouveaux Réalistes, cherche à arrimer l’art à la réalité, à faire entrer celle-ci dans ses travaux. Il reste l’un des premiers à avoir compris que l’intrusion de matériaux et de techniques venus de l’industrie changeait les conditions de la sculpture. C’est d’ailleurs l’image qu’il s’est construite dans les médias : « découpant la tôle, soudant le métal ou martelant l’acier - tels des ouvriers de la métallurgie ou de l’industrie automobile -, perpétuant cet imaginaire du savoir-faire et de la solitude héroïques, que paraît féconder une technicité importée du bricolage ou de l’industrie et jusque-là inconnue dans le champ de l’art, mais dont la valeur symbolique est indemne », écrit Bertrand Tillier.
Toutefois, avant même de participer au groupe réuni par le critique Pierre Restany avec comme mot d’ordre « l’aventure de l’objet », César se confronte déjà à la réalité. À son arrivée à Paris, il pratique la sculpture à partir de fers soudés. Esturgeon (1954), qui va devenir avec le temps Le Poisson, est un splendide exemple de construction virtuose à partir de déchets métallurgiques. Tout en étant parfaitement reconnaissable, le poisson, qui semble sortir d’un bestiaire fantastique, est avant tout un travail complexe qui joue sur le plein et le vide, sur la transparence et même sur la légèreté malgré les matériaux industriels employés. Quelques années plus tard, César réalise des œuvres plus classiques - l’impressionnante et hiératique Victoire de Villetaneuse (1965) - ou encore des travaux abstraits, les « Panneaux-Reliefs » qui, comme leurs titres l’indiquent, sont des œuvres pratiquement en deux dimensions (Plaque-Femme, 1963).
L’aventure des compressions
Puis, c’est la découverte qui fera sa fortune (dans tous les sens du terme), celle de la presse hydraulique. Compressions, ces blocs sculpturaux monumentaux constitués à partir d’automobiles écrasées et « remodelées » sont des assemblages extrêmes, où les objets fusionnent en un seul, expulsant l’espace qui les sépare. Cette archéologie du présent consistant en un archivage de fragments du réel, choisis pour leur caractère particulier, affiche une matérialité tactile et apparaît de nos jours comme les traces palpables de leur époque. On aurait d’ailleurs aimé quelques documents évoquant une société qui pratiquait la consommation comme une religion.
Le coup des pouces
Ailleurs, les « Empreintes humaines », moulages corporels réalisés par César dès 1963, aboutissent au dénommé Pouce, l’icône, voire le logo de l’artiste. Il est décliné dans des tailles variées, y compris monumentales (12 mètres) dans toutes les matières - sucre et or compris - et dans toutes les couleurs. Il en va de ces mini-pouces, dont quelques-uns sont alignés au Centre Pompidou, comme des compressions plus tardives, aux couleurs pastel ; le risque est celui d’un flirt dangereux entre sculpture et gadget. Tout laisse à croire que César est plus enclin à faire surgir la brutalité de ses objets issus des décharges que de faire miroiter les délices du coloriage. En d’autres termes, la puissance et la séduction forment un mariage contre nature.
Suit une autre invention radicale du sculpteur : les « Expansions » - coulées de matière plastique chaude, qui se figent en se refroidissant et forment un paysage de vagues souvent blanches. Après le métal, ce sont les matériaux plastiques que César affectionne. Plastiques que l’on retrouve également avec une série moins connue, celle baptisée « Enveloppages », qui présente un ou plusieurs objets - téléphone, moulin à café - empaquetés dans des sachets de Plexiglas.
Si l’exposition s’ouvre sur une petite note humoristique avec Le petit-déjeuner sur l’herbe (1957), exécuté en fer soudé et tôle, alors elle s’achève d’une manière plus grave avec Citroën ZX (1995). Cette voiture prestigieuse est réduite ici à une sombre carcasse aplatie. Est-ce une œuvre testamentaire ou la fin d’une époque ?
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César, l’instinct de la matière
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 26 mars, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°492 du 4 janvier 2018, avec le titre suivant : César, l’instinct de la matière