La restrospective au Musée d’Orsay offre un regard inédit sur la photographe et pianiste concertiste longtemps éclipsée.
Paris. Des chefs de file du pictorialisme en France, seuls les noms de Constant Puyo (1857-1933) et de Robert Demachy (1859-1936) ont été longtemps retenus par les études sur ce premier mouvement de la photographie d’art. Il a fallu la publication, en 1992, de La Photographie pictorialiste en France de Michel Poivert, pour que le nom de Céline Laguarde (1873-1961) émerge comme une autre grande figure de ce courant.
Il restait à reconstituer son parcours et à retrouver l’œuvre originale de la photographe, d’autant que Céline Laguarde n’avait pas, de son vivant, pris soin de se préoccuper à l’avenir de son archive photographique. On savait qu’elle était née au Pays basque, installée dans le sud de la France, décédée en Suisse et sans descendance.
En 2013, la découverte partielle du fonds par Thomas Galifot a constitué la première étape d’un travail de valorisation, entrepris par le conservateur en chef, au Musée d’Orsay, dans le cadre de l’exposition « Qui a peur des femmes photographes ? ». La première partie du projet consacrée aux années 1839-1918 a été présentée en 2015, au Musée de l’Orangerie, la seconde dédiée aux années de l’entre-deux-guerres jusqu’à 1945, la même année, au Musée d’Orsay sous le commissariat de Marie Robert.
Les recherches menées ont rendu possible aujourd’hui la rétrospective de Céline Laguarde dont on découvre la création artistique, son étendue et l’importance de son œuvre tant en France et qu’aux États-Unis où sa renommée équivaut à celle de l’Américaine Gertrude Käsebier (1852-1934). La découverte d’autres parties de son fonds et l’acquisition de la totalité de celui-ci par le Musée d’Orsay, et l’enquête biographique approfondie par Thomas Galifot, redonnent toute sa place à l’œuvre et au parcours d’une artiste qui fut tout autant célèbre comme photographe que pianiste concertiste.
Portrait, paysage ou micro-photographie scientifique : « Céline Laguarde a fait œuvre dans tous les genres photographiques contrairement aux pictorialistes, et sa virtuosité technique dans tous les procédés d’art utilisés par le mouvement a été reconnue par tous », souligne Thomas Galifot, qui commente les œuvres de l’artiste, et les met en dialogue avec les figures majeures du pictorialisme de son temps (Demachy et Puyo) ou qui l’ont précédée comme Julia Margaret Cameroun (1815-1879) à laquelle on pense devant les portraits de jeunes femmes ou d’enfants de Céline Laguarde ou encore devant des portraits d’hommes célèbres de son époque. Ses photographies en Camargue, en Provence, au Pays basque ou en Espagne témoignent de la diversité de son inspiration.
« La fin du pictorialisme avec la Première Guerre mondiale n’a pas marqué pour autant la fin de sa créativité », précise le commissaire qui rappelle les liens qu’elle entretenait avec des poètes et romanciers tels que Francis Jammes, Paul Claudel) et des compositeurs (en particulier Darius Milhaud), et son mariage avec l’éminent entomologiste suisse, Édouard Bugnion, qui la plonge dans le monde scientifique pour lequel elle réalise des micro-photographies publiées dans des revues. Veuve en 1939, Céline Laguarde abandonne la photographie, déménage en Suisse pour se consacrer uniquement à la musique. Cette dernière partie de sa vie est évoquée à travers des portraits, des partitions musicales originales et une bande sonore des compositions qui lui furent dédiées, et dans un des textes du catalogue coédité par le Musée et Gallimard.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°644 du 29 novembre 2024, avec le titre suivant : Céline Laguarde, grande figure du pictorialisme