Cartes sur table

Leçons de géographie contemporaine au Palais de Tokyo

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 27 juin 2003 - 718 mots

Au Palais de Tokyo, l’exposition “GNS”? décrit la topographie comme un processus apte à cerner le travail d’une vingtaine d’artistes, occupés à représenter le monde dans toutes ses échelles et ses dimensions. Politiques, intimes, urbaines ou imaginaires, les œuvres dont il est question ici empruntent souvent la forme de la carte pour traduire une réalité qui ne peut se satisfaire d’un “format unique”?.

PARIS - “Il suffit de parcourir aujourd’hui les expositions pour s’apercevoir que la question de la représentation de la réalité dans l’art contemporain se voit inévitablement évacuée dans le format unique du documentaire, observe Nicolas Bourriaud dans les premières pages du catalogue de l’exposition “GNS” (Global Navigation System). Cette domination du documentaire fait figure de symptôme, celui d’une perte de confiance dans les pouvoirs de l’art comme système signifiant capable de traduire notre relation au monde avec ses moyens propres.”
Revenant sur les dernières Documenta et Manifesta, Nicolas Bourriaud force un peu le trait en évacuant systématiquement la nature cinématographique (si l’on tient à esquiver le qualificatif trop miné de “plasticienne”) de nombreux projets documentaires, mais développe, en s’appuyant sur la géographie et la cartographie, un propos situant avec précision quelques-uns des enjeux de la création actuelle : “S’inscrire dans un champ de pratiques et dans celui des modes de production contemporains, développer une pensée critique qui dépasse le niveau des bonnes intentions, travailler la forme (qui se lit) plutôt que le signe (qui se code).” La peinture de Julie Mehretu (Untitled, 2001) et de Matthew Ritchie (Mastermind, 2002) absorbe des données – mathématiques, culturelles et scientifiques – les agrégeant en une abstraction informative, voire nucléaire. “Je m’intéresse à la possibilité de décrire la structure fondamentale. Mon travail consiste à accélérer ce processus, en une tentative futile de décrire l’univers comme s’il pouvait être intégralement vu par une seule personne à un moment donné”, postule Matthew Ritchie, dont les toiles rendues obèses par les flux qui les traversent débordent du cadre pour rejoindre mur et plafond. Le principe est comparable chez Franz Ackermann (Mental Maps 2, Bunker, 2003). L’Allemand brosse des paysages où la ville se dessine dans des mouvements, des réseaux de neurones, évocation simultanée de connexions mentales et urbaines, modulées sous la forme d’un caisson sensoriel.
Nul hasard, donc, si la “psychogéographie” situationniste (“étude des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus”) irrigue plusieurs travaux de la vingtaine d’artistes invités au Palais de Tokyo. Le collectif italien Stalker poursuit par la marche la théorie de la dérive de Debord et de ses compagnons. Quant à Pia Rönicke, calquant la découpe narrative du Masculin féminin de Godard, elle imagine une discussion entre Le Corbusier et Constant. Et c’est en lieu et place du flirt de Jean-Pierre Léaud et Chantal Goya que son story-board décrit une situation urbaine aussi redevable aux machines à habiter et aux grands ensembles de Le Corbusier qu’au nomadisme prôné par le père de New Babylon. Le sentiment est le même devant les collages de Jakob Kolding. Le Danois resitue les architectures de la périphérie dans des œuvres aux accents constructivistes. En faisant sienne l’équation “monde = ville”, “GNS” fait la part belle à la métropole : le plan du métro de Pierre Joseph (Mon plan de métro de Paris, 2000) où l’artiste transcrit son apprentissage et son savoir, les photographies de repérages commandées par John Menick (The Disappearance, 2001-2002) à Nuremberg, ou le projet d’Aleksandra Mir, Baptiser Tokyo, qui énonce de lui-même son propos. Tous poursuivent la même idée de représentation d’un lieu selon des données géographiques, mais aussi fictionnelles, historiques ou intimes. Avec Plan-moi (2003), Thomas Hirschhorn tente ainsi une auto-cartographie tout en liaisons et renvois, à travers des collages de textes et de photographies de presse. Dans un geste d’ultime formalisme, Wim Delvoye dessine lui des cartes de rien (Map, 1999), des contours qui se réduisent à des aplats colorés munis de quelques noms fictifs, des territoires sans aucune fortune, PIB ou statistiques exploitables. Une véritable ascèse alors que, des ouvrages scolaires à Bloomberg TV, il pleut des camemberts sur le monde.

GNS

Jusqu’au 7 septembre, Palais de Tokyo, Site de création contemporaine, 13 avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 47 23 54 01, tlj sauf lundi, 12h-24h, www.palaisdetokyo.com. Catalogue, éd. du Cercle d’art, 231 p. 23 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°174 du 27 juin 2003, avec le titre suivant : Cartes sur table

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