Art moderne

Meaux (77)

Bruyer, l’art au cœur des tranchées

Musée de la Grande Guerre

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 8 avril 2021 - 331 mots

Blessé n° 223. Le titre laconique du dessin de Georges Bruyer dit tout du statut de l’image venue du front.

Face à cette guerre industrielle qui tue dans des proportions jamais vues, l’individu se mue en simple matricule, tandis que la nature des blessures devient irreprésentable, car insupportable à regarder et à raconter à ceux de l’arrière. Ce dessin saisi sur le vif par un artiste combattant ne peut ainsi qu’éluder la monstruosité des affrontements. Allongé à même le sol, le soldat gît appuyé sur son barda. Aucune trace de sang n’est visible, aucun impact de balle non plus. Ce dessin, massivement diffusé durant la Grande Guerre, dit en revanche beaucoup de l’empathie entre camarades et de la nécessité impérieuse de continuer à créer envers et contre tout pour témoigner du quotidien dans l’enfer des tranchées. Georges Bruyer est déjà un artiste reconnu quand il est mobilisé en 1914. À aucun moment de la guerre, y compris durant sa convalescence suite à d’importantes blessures, il n’arrête de dessiner, de peindre ou de graver avec les moyens du bord, comme le rappellent les modestes gravures sur linoléum. À la différence de nombreux artistes enrôlés, son œuvre se distingue par une nette évolution au cours de ces quatre années terribles. Les premières productions sont ainsi des instantanés de la vie des troupes, le plus souvent des dessins. En revanche, après sa blessure, il réalise des gravures monochromes plus angoissées axées sur la souffrance, avant de changer à nouveau de registre et de technique pour capter dans l’aquarelle le cadre de vie des soldats. En 1917, il renoue toutefois avec la gravure sur bois dont il explore les potentialités graphiques dans une série de 24 estampes à l’esthétique épurée et très efficace. La même année, nouveau changement d’orientation : il participe aux missions artistiques aux armées. Il livre alors des tableaux étonnants où la présence humaine est quasi inexistante, se focalisant sur les villages et monuments en ruine. Une autre manière de dire l’indicible.

« Georges Bruyer. Graver la guerre »,
Musée de la Grande Guerre, rue Lazare-Ponticelli, Meaux (77), www.museedelagrandeguerre.eu

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°743 du 1 avril 2021, avec le titre suivant : Bruyer, l’art au cœur des tranchées

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