Le Musée du Luxembourg, à Paris, met en exergue l’œuvre ultime du peintre à partir de sa correspondance avec l’écrivain André Rouveyre.
PARIS - « Ta constance dans l’amitié est un grand bien pour moi », déclarait à Henri Matisse en 1950 l’écrivain et portraitiste André Rouveyre. Anciens camarades des Beaux-Arts, les deux artistes se croisaient épisodiquement, aux hasards des rencontres. En 1941, en pleine Guerre mondiale, ils se lancent dans une correspondance assidue, parfois quotidienne, et ce jusqu’à la mort de Matisse en 1954. Ces échanges épistolaires, réunis et publiés en 2001 par Hanne Finsen, spécialiste de Matisse et ancienne conservatrice du Statens Museum for Kunst et du Musée d’Ordrupgaard de Copenhague, ont été le point de départ de l’exposition que consacre le Musée du Luxembourg à l’artiste. Quand on demande à Hanne Finsen, qui en a assuré le commissariat, « Pourquoi une énième exposition Matisse ? » elle évoque le caractère unique de la correspondance qui permet de suivre en détail les recherches du peintre et de mieux comprendre la production de ses dernières années.
En 1941, Matisse se trouvait à Lyon, où il avait été opéré d’un cancer à l’âge de 71 ans. Cette épreuve ne l’empêcha pas de se jeter à corps perdu dans le travail et de connaître, comme il le disait lui-même, une « seconde vie ». « Il m’a toujours semblé particulièrement intéressant de constater que lorsque de grands artistes arrivent à un âge avancé, où ils sont capables de tout faire sans plus avoir à se préoccuper de la vente de leurs œuvres ou à tenir compte d’autres considérations, on assiste souvent chez eux à un épanouissement, à une liberté extraordinaire. C’est le cas par exemple de Monet et de Titien, et c’est aussi celui de Matisse », précise Hanne Finsen.
Des lettres et poèmes adressés à Rouveyre, mais aussi des enveloppes que Matisse aimait à décorer d’étoiles, de volutes ou de fleurs ont été soigneusement sélectionnés. Ils servent de fil conducteur au parcours de l’exposition, qui présente également les productions dont il est question dans les lettres de Matisse. Ainsi des différentes séries de dessins autour de l’« Arbre »– notamment un dessin au crayon de 1939 prêté par le Musée Pouchkine de Moscou –, accompagnées d’une longue lettre où Matisse expose à Rouveyre « la naissance de l’arbre dans une tête d’artiste ».
La scénographe Elisabeth Topsøe a su tirer parti de la superficie du musée, pourtant exiguë : les grands formats, tels La Perruche et la Sirène, composition aux dimensions vertigineuses (plus de 3 mètres sur 7), respirent dans un ensemble blanc et lumineux, qui souligne la qualité graphique et l’audace colorée des œuvres. Seule la série « Jazz » manque quelque peu d’espace. Ces gouaches découpées furent à l’origine de la plupart des travaux monumentaux comme le décor de la chapelle de Vence (inaugurée en 1951), à propos de laquelle Matisse écrivit, non sans humour : « Dans ma chambre, près de mon lit, est une croix en bois pour mon modèle qui fait le Christ. Je trouve ça épatant. Les autres trouvent ça macabre… On dit que c’est par amitié pour une jeune dominicaine qui m’a soigné que je fais cette chapelle. Tout est à Freud aujourd’hui. Je te quitte – le Christ est arrivé. » La maquette définitive du double vitrail placé derrière l’autel de la chapelle de Vence, L’Arbre de vie (1949), en provenance directe des Musées du Vatican, et les diverses études de « Saint Dominique » rappellent combien ce projet fut important pour Matisse. Explorant toutes les possibilités de la technique des papiers découpés, l’artiste se lança dans d’autres grandes productions, telles Zulma, une femme nue taillée dans des aplats de bleu et de jaune se détachant d’un fond vert. Le panneau fut présenté en 1950 au Salon de Mai à Paris. Trois ans plus tard, Matisse exécuta La Gerbe, sa dernière œuvre. Conservée au Hammer Museum de Los Angeles, elle revient pour la première fois en France. « Il m’a fallu tout ce temps pour arriver à un stade où je puis dire ce que je veux dire », expliquait le peintre. Avec ce bouquet coloré jaillissant d’une surface neutre, Matisse atteint cette légèreté et cette joie qu’il avait souhaitée pour toute son œuvre, cette union de la couleur et de la forme qui s’imposent d’elles-mêmes comme une évidence. Un ultime élan créateur auquel le Musée du Luxembourg donne aujourd’hui toute son ampleur.
Jusqu’au 17 juillet, Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, 75006 Paris, tél. 01 42 34 25 95, www.museeduluxembourg.fr, tlj 11h-19h, le dimanche 9h-19h, lundi et vendredi jusqu’à 22h30. Catalogue, éditions Hazan, 256 p., 39 euros.
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Bouquet final
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°212 du 1 avril 2005, avec le titre suivant : Bouquet final