Le centenaire de la mort de Rodin inspire un regard vif sur les divers aspects sémantiques du baiser.
Calais. Qui sait si l’exposition du Musée des beaux-arts de Calais va véritablement modifier le climat actuellement pesant de cette ville ? En tout cas l’effort est louable. Sous le patronage de Rodin, fêté un peu partout cette année, c’est le thème du baiser qui est mis en scène ici. Sujet séduisant, mais risqué, car la manifestation aurait pu tourner rapidement au catalogue de mièvreries. Cependant, le parcours, d’une finesse remarquable, orchestré par la commissaire Florence Guionneau-Joie, évite les lieux communs et traite le baiser comme un langage social sans le réduire à un geste romantique. Non que cette dimension soit absente, car la première salle propose, outre le magnifique plâtre de Rodin, une toile d’Eugène Carrière, une installation d’Ange Leccia ou une photo de Jan Saudek représentant des moments de sensualité ou de tendresse.
Puis, c’est le désir érotique, plus ou moins violent, qui est mis en évidence. Dans « Le Baiser prédateur », les œuvres montrent le rapport de forces, exprimé par ce geste qui n’est jamais innocent. On regrette toutefois une vision partiale qui ne donne le pouvoir qu’au sexe masculin et fait abstraction des nombreuses femmes fatales et autres vampires.
Ailleurs, l’exposition examine le baiser non pas dans sa dimension intime, mais dans sa dimension d’acte symbolique, qui se situe au-delà du désir. Ainsi, le baiser peut devenir arme sociale quand l’actrice Clémentine Célarié embrasse un jeune homme séropositif, ou politique – le mémorable baiser entre Brejnev et Honecker à Berlin en 1979 étant absent ici pour des raisons budgétaires.
Intime ou social, le baiser peut être également trompeur ou même félon. Les extraits d’un baiser de la mort dans Le Parrain de Francis Ford Coppola, présentés dans la section « Le Baiser destructeur », ne sont qu’une version moderne du baiser de Judas. « Il est fait d’interdit, de trahison et de mensonge… et l’amour y est souvent impossible, mortel, aveugle ou sulfureux », écrit Florence Guionneau-Joie.
Particulièrement intéressantes sont les images cinématographiques qui permettent de clairement constater l’évolution des mœurs selon la manière dont les acteurs embrassent. Pudique ou audacieux, esthétisé ou érotisé, baisemain ou baisers volés, il reste un repère culturel essentiel dans chaque société. Une place ancrée dans l’art qui fut déjà constatée par Leon Battista Alberti, le célèbre théoricien italien du XVe siècle, qui déclarait que « la peinture [n’est pas] autre chose que l’art d’embrasser la surface de l’eau ».
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Bons baisers de Calais
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 17 septembre, Musée des beaux-arts, 25 rue Richelieu, 62100 Calais.
Légende Photo :
Auguste Rodin, Le Baiser grand modèle, 1888-1898, plâtre, 184 x 112 x 110 cm, Musée Rodin, Paris. © Photo : RMN (Musée Rodin)/Adam Rzepka
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°482 du 23 juin 2017, avec le titre suivant : Bons baisers de Calais