PARIS
On découvrira en France, pour la première fois dans son ensemble, l’œuvre complexe de Robert Morris, l’un des artistes américains les plus intrigants. Depuis le début des années soixante, il s’est débattu avec toutes les contradictions de son époque. L’exposition d’une centaine d’œuvres est coproduite avec le Solomon R. Guggenheim Museum de New York.
PARIS - "Minimaliste défroqué", selon sa propre expression, traître à tous les dogmes qu’il avait contribué à forger, Robert Morris serait, selon la judicieuse expression de Didier Ottinger, "l’équivalent artistique de ces dissidents qui, pendant les années cinquante, franchissaient le rideau de fer pour clamer que ‘là-bas’, le paradis n’existait pas encore".
On peut aussi considérer le parcours de Morris sous le soleil noir de la mélancolie, comme le fait la commissaire de l’exposition à Paris, Catherine Grenier. Les réflexions sur le modernisme que mène l’artiste sont empreintes d’un pessimisme critique et désabusé, qui tranche avec le positivisme inspirant la plupart de ses collègues américains. Ce qui suffirait à en faire un cas intéressant, si son œuvre, monumentale dans tous les sens du terme, ne charriait aussi sur tous les modes les contradictions.
Le malentendu
Né en 1931 à Kansas City, Bob Morris a poursuivi à la fois des études artistiques et des études d’ingénieur. Après avoir assimilé les leçons de l’Expressionnisme abstrait, il cesse de peindre à la fin des années cinquante et découvre bientôt, à San Francisco, l’avant-garde dans les domaines de la musique et de la chorégraphie. De cette époque date son intérêt pour le théâtre et la dimension émotionnelle du corps.
Et si, présentant ses premières sculptures élémentaires à New York en 1961, il est dès lors indissolublement lié à l’émergence du Minimalisme, dont il est couramment présenté comme un inventeur aux côtés de Donald Judd, c’est sur la base d’un malentendu. Il n’aura de cesse de cultiver et de critiquer cette confusion, qui fit associer des pratiques diamétralement opposées.
Avec d’autres (Bruce Nauman, Eva Hesse ou Richard Serra), il va redistribuer à travers de multiples expériences et procédures un contenu anthropologique, directement issu du Néo-dadaïsme. En forgeant le terme d’antiform pour décrire ses propres œuvres vers la fin des années soixante-dix, Morris va prendre à rebours certains dogmes formalistes et puritains. Le hasard, le jeu croisent une orientation métaphysique et cosmique, qui se traduit dans certaines œuvres monumentales où le corps du spectateur se voit étroitement impliqué.
En 1984, il parvient de nouveau à perturber, sinon à brouiller l’image de son œuvre, en présentant des bas-reliefs dont la brutalité et la noirceur font trébucher encore bien des a priori. C’est sans doute paradoxalement depuis lors que l’on peut mieux concevoir la pertinence désespérée de cette œuvre qui n’a finalement rien d’hésitant et n’aura pris les voies de l’éclectisme que pour traquer avec le plus d’efficacité possible les échos de la mort dans la pratique moderne de l’art.
ROBERT MORRIS, Centre Georges Pompidou, Galerie Sud, du 5 juillet au 23 octobre. Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 12h à 20h. Une rencontre entre l’artiste et Donald Davidson aura lieu le 5 juillet à 18h30 (Petite Salle).
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Bob Morris au Centre Pompidou, un artiste hors catégorie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°16 du 1 juillet 1995, avec le titre suivant : Bob Morris