Biennale de Venise : pavillons et autres manifestations (I)

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 13 juin 1997 - 778 mots

Ne disposant pas de pavillons dans l’enceinte des Giardini, plusieurs États ont décidé d’organiser leur exposition dans des lieux répartis dans le centre historique de Venise. Cet éclatement, qui devrait à terme disparaître, marque peut-être les limites du principe d’une manifestation basée sur les représentations nationales.

Après plusieurs années d’attente, l’Argentine a obtenu de la Commune de Venise la permission de construite son pavillon "provisoire" sur l’avenue donnant accès aux Giardini de la Biennale. Ce "provisoire" pourrait durer, à l’image du pavillon australien, inauguré en 1988, du pavillon Electa – la dernière création de James Sterling – édifié, après maintes polémiques, pour la Biennale d’Architecture de 1991, ou de celui de la Corée du Sud, qui date de 1995. Depuis la construction du premier pavillon – celui de la Belgique, en 1907 – dans les Giardini, le caractère international de la Biennale se traduit surtout par la présence de ces édifices, aujourd’hui au nombre de vingt-cinq. Si ce critère était déterminant au début du XXe siècle, il est devenu insuffisant au seuil du XXIe, suite logique des bouleversements géopolitiques intervenus et de l’émergence de nations nouvelles. Ainsi, des pays de l’Amérique latine comme le Chili, le Pérou, Cuba et la Bolivie se sont réunis dans un "Institut italo-latino-américain", qui cherche désespérément un siège permanent. Il est logé cette année au Palazzo Querini-Stampalia. L’Afrique est représentée par la seule Égypte, et le monde islamique est totalement absent, à l’exception d’une sélection d’artistes musulmans originaires de onze pays présentés par la Fondation Rockefeller aux Zattere.

Pour l’Extrême-Orient, si la Chine populaire reste absente, la République de Taiwan est de plus en plus active. Elle expose cette année dans les Prigioni du palais des Doges et dans la Scuola di San Giovanni Evangelista. Hongkong, avant son retour à la Chine, est en pourparlers pour obtenir un espace d’exposition aux Zitelle, dans l’île de la Giudecca. La situation n’est pas moins contradictoire pour la vieille Europe. Des pays comme le Portugal (Palazzo Vendramin ai Carmini), l’Irlande (Galleria Nuova Icona, sur la Giudecca), le Luxembourg (les Zitelle, sur la Giudecca) et Chypre (Fondazione Levi, campo San Stefano) sont dispersés dans tout le centre historique de la ville, éloignés les uns des autres et décentrés par rapport aux Giardini. La dissolution de l’ex-URSS est également à l’origine de nouvelles entités nationales. Les Républiques baltes sont les plus actives. La Lettonie exposera à la San Gregorio Art Gallery et l’Estonie sur la Riva degli Schiavoni, dans un lieu qui reste à définir, tandis que la Lituanie espère encore trouver un espace à temps pour participer. La République fédérale de Yougoslavie, même réduite, garde son espace dans le pavillon "Venise" des Giardini. En revanche, la Slovénie émigre à l’Ateneo San Basso, la Croatie au Museo di Sant’Apollonia et la Macédoine à San Giovanni Novo. La République d’Arménie, mieux servie par l’histoire, bénéficie d’un espace dans l’île qui porte son nom depuis le XVIIIe siècle. Cette situation est devenue intenable et pénalisante pour les pays comme pour les visiteurs, contraints à de fatigants déplacements dans une cité certes fascinante, mais dont la topographie est pour le moins labyrinthique. Il est question, depuis des années, de réunir différents pays dans un édifice spécialement aménagé.

La Commune de Venise penserait aux anciens chantiers de l’ACTV – la régie des transports vénitiens – et l’espace contigu à l’église San Giuseppe, tous deux proches du secteur des Giardini. Cette proposition est intéressante, mais sa conception commence à dater. Au IIIe millénaire, il ne sera peut-être plus possible de concevoir l’internationalité comme la simple addition de pays pris isolément. Cette hypothèse n’est pourtant pas à exclure, même si la recherche de racines nationales s’exprime avec force chez beaucoup d’artistes. C’est le cas de l’Australie, qui se déclinera cette année entièrement au féminin avec trois représentantes, dont deux artistes aborigènes. Robert Colescott, le premier artiste afro-américain à exposer dans le pavillon des États-Unis, se situe dans la même veine. Le choix est "politiquement correct" puisque Colescott exprime une forte charge polémique contre la culture dominante, qui s’osbtine à interpréter la culture africaine d’un point de vue résolument occidental. La nature est un autre élément récurrent qui traverse toute la Biennale, littéralement même, avec le Hongrois El Hassan Ròza (d’origine syrienne), qui expose à l’extérieur du pavillon un arbre illuminé grâce à l’énergie solaire, comme dans les installations de verdure et de végétation du Luxembourgeois Luc Wolff, ou les vases du Slovène Joze Barsi. Cette nature sert aussi de contrepoint à l’inflation annoncée de films, de vidéos et de translittérations langagières, dans la version rigoureusement conceptuelle qu’en donne le Canadien Rodney Graham ou dans la dénonciation sociale des Irlandais Alastair MacLennan et Jaki Irvine.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°40 du 13 juin 1997, avec le titre suivant : Biennale de Venise : pavillons et autres manifestations (I)

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