L’exposition principale de la 47e Biennale de Venise, qui se déroule du 15 juin au 9 novembre, s’annonce recentrée. "Futur, Présent, Passé", conçue par Germano Celant, réunit une soixantaine d’artistes dans les Giardini di Castello et aux Corderies de l’Arsenal. La manifestation est la dernière à être marquée par une "hyper-étatisation" puisque le Sénat italien vient de signer la réforme de son fonctionnement.
Germano Celant, directeur de la Biennale de Venise, a cherché à rassembler des artistes n’ayant pas déjà fait l’objet d’une invitation aux autres grandes manifestations estivales. Le seul qui soit exposé simultanément à Venise et à Cassel est Gerhard Richter : il montre en Allemagne des œuvres historiques, et en Italie des pièces réalisées ad hoc. Deux lieux – les Giardini di Castello et les Corderies de l’Arsenal – ont été retenus pour recentrer la manifestation vénitienne, en opposition à la dispersion voulue par Bonito Oliva, qui avait fait de la Biennale de 1993 une invasion turbulente, quoique pacifique, de la cité des Doges. Le choix de n’inviter que trois artistes pour le Pavillon italien a soulevé des interrogations. Il réunit en effet Ettore Spalletti, héritier du Minimalisme, Enzo Cucchi, le plus actif des anciens artistes de la Transavangarde, et le tout jeune Maurizio Cattelan, dont le Moment magique a fait hausser plus d’un sourcil puisque la critique voit en lui le plus "made in USA" des nombreux créateurs italiens de la jeune génération.
Toutefois, l’intérêt de cette Biennale réside justement dans l’extrême clarté et l’autorité avec lesquelles Celant a tracé la ligne artistique de l’exposition. Il a été aidé par une équipe constituée de directeurs de musées – Nicholas Serota, de la Tate Gallery ; Ida Gianelli, du Castello di Rivoli ; Lars Nittve, du Louisiana Museum de Humlebaek ; David Ross, du Whitney Museum –, de jeunes conservateurs – Giorgio Verzotti, Vicente Todoli et Nancy Spektor –, ainsi que d’un peintre, Carla Accardi, pour faire taire les polémiques soulevées par les artistes lors des deux précédentes éditions à propos du comportement des conservateurs à leur égard. Avec cette équipe solide, Celant a fait valoir sa vocation historique, nourrie de son intense activité de critique militant et d’une vision de l’art contemporain en perspective inversée. L’exposition part en effet de l’actualité la plus brûlante (Chapman, Whiteread, Kabakov, Muñoz, Pancrazzi, Pipilotti Rist, Vanessa Beecroff, Langlands & Bells, Cabrita Reiss) pour relire une histoire dont les racines remontent aux années soixante-dix, comme pour vérifier la "tenue" de ses individualités et de ses tendances. Ainsi, les artistes passés "à l’histoire" ont été invités à proposer des œuvres récentes, parfois même conçues pour la circonstance. L’exposition débute avec l’opposition Post-human/Néo-minimalisme, pour intégrer la Transavantgarde et le Néo-expressionnisme parmi les créateurs les plus conceptuels (Cucchi, Clemente, Kiefer, Schnabel) et arriver à l’histoire récente suivant un schéma que Celant compare, fort justement, non à une voie triomphale, mais à une constellation.
Les différents artistes développent en effet une réflexion sur le langage – comme Gino De Dominicis –, restent attachés au Minimalisme de stricte observance (LeWitt, Buren), ou proche du Pop Art, tout en ayant évolué vers l’environnement, comme Oldenburg et van Bruggen. Une certaine peinture actuelle liée aux médias et à la bande dessinée n’est pas sans référence à un Roy Lichtenstein. Parmi les "histoires dans l’histoire" apparaissent celles de l’installation (Rebecca Horn, Steinbach, Abramovic), de la peinture – de Vedova à Richter – et, enfin, de l’Arte povera dont Celant aura été le théoricien – le noyau historique est représenté ici par Paolini, Merz, Fabro et Zorio –, jusqu’à Jan Fabre. Comme toujours en pareille occasion, les querelles vont déjà bon train, notamment de la part des absents et en particulier de deux ex-disciples de Celant, Pistoletto et Kounellis, ce dernier ayant porté un jugement très critique sur le commissariat de Germano Celant pour la Biennale de Florence. Les commentaires fleurissent aussi sur la marque imprimée par le directeur de la Biennale à l’histoire des trente dernières années, sur l’américanisme de Celant devenu, en tant que conservateur pour l’art contemporain, l’un des hommes-clefs du Guggenheim – une institution qui se ramifie en Europe, de Bilbao à Salzbourg –, et sur son pouvoir sur la scène artistique internationale. Ce n’est un mystère pour personne que sa nomination à la tête de la Biennale a été très appuyée par le maire-philosophe de Venise, Massimo Cacciari, à un moment où la Ville voudrait se doter d’un musée d’art contemporain que beaucoup considèrent déjà comme un énième avant-poste américain sur la lagune, à côté de la Collection Peggy Guggenheim. Les sujets pour de futures polémiques ne manquent pas. Comme dans la meilleure tradition vénitienne, lorsque l’on organisait, à la Ca’Pesaro, des "anti-biennales" pour riposter au passéisme de la présentation officielle, Achille Bonito Oliva présente "sa" Biennale au Palazzo Querini-Dubois. Il y revendique un genius loci proprement italien, de Giacomo Balla à Bagnoli, pour contrer la prétendue américanisation de l’art contemporain par Celant.
TOUS LES LIEUX DE LA BIENNALE
1. Giardini di Castello
Pavillon italien, "Futur, présent, passé" et pavillons étrangers
2. Corderies
"Futur, présent, passé"
3. Arsenal
Spazio Thetis : Robert Morris, "Les enfants du goudron du nouvel ordre du monde" / Cinéma Savona : "Deposition, Swedish contemporary Art in Venice" / Cloître de San Francesco della Vigna : "Intersecando...si"
4. Musée Correr
"Anselm Kiefer"
5. Fondation Bevilacqua-La Masa
"Europa-5 giovani proposte"
6. Café Florian
"Temporanea: le realtà possibili"
7. Ateneo San Basso
Slovénie
8. Sant’Apollonia
Croatie ; "Erik Dietman, sculptures en verre"
9. Prigioni di Palazzo Ducale (Palais Ducal)
Taiwan
10. Riva degli Schiavoni:
Estonie
11. Église de San Giovanni Novo
Macédoine
12. Campo Santa Maria Formosa
Fondazione Querini Stampalia : "Artistes pour Sarajevo" ; Institut italo-latino-americain
13. Palais Giustinian Lolin
Cipro : "Jeunes artistes grecs"
14. Palais Fortuny
"Venezia ‘50-’60. L’officina del contemporaneo"
15. Coll. Peggy Guggenheim
"Stuart Davis" ; "Jean-Michel Othoniel"
16. San Gregorio Art Gallery
Lettonie
17. Rio Terà A. Foscarini
"Modernities & Memories"
18. Punta della Dogana e San Trovaso
Sculptures de F. Cataldi
19. Palais Querini Dubois
"Minimalia"
20. Palais Papadopoli
"Metamorphosis"
21. Palais Vendramin ai Carmini
Portugal
22. Scuola San Giovanni Evangelista
"Segmentation/Multiplicatio"
23. Palais Albrizzi
"Bernhard Kremser"
24. Centre Culturel Zitelle
Luxembourg et Hongkong
25. Nuova Icona
Irlande
Isola di San Lazzaro
Arménie
Marghera, zona industriale
"Denis Oppenheim" ; "15 Fotografi italiani e il mutare dei luoghi urbani a Venezia"
Villa Pisani Stra-Dolo Ex Macello
"Gorgone, gorgonesco, gorgonico"
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La 47e Biennale de Venise : « Futur, Présent, Passé »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°40 du 13 juin 1997, avec le titre suivant : La 47e Biennale de Venise : « Futur, Présent, Passé »